La galerie à Lineuh

Rapide résumé:

Elle se préparait à sortir. Elle regardait son image se refléter dans le miroir devant elle tout en se coiffant. Elle était minutieuse et prenait son temps pour que tout soit parfait. Après être passée devant sa coiffeuse en bois de chêne, elle enfilerait sa toilette rose pâle, actuellement posée sur son fauteuil molletonné vert. Derrière, son lit était à peine fait et la porte de son armoire encore entrouverte. De celle-ci, dépassaient quelques serviettes et draps blancs. Ses accessoires de couture trônaient au milieu de la pièce, attendant patiemment d’être utilisés. Sa cheminée était magnifique, comme à son habitude. Mélange subtile d’ébène et d’or, le bois y était finement sculpté et travaillé tandis que le métal mettait en valeur les contours, rendant encore plus parfait le résultat final. Une horloge simple, mais jolie, y était posée. Les aiguilles d’un noir de jais avançaient lentement devant un cadran de quartz blanc. Les rouages de cette mécanique complexe étaient visibles et on pouvait les entendre cliqueter la nuit, brisant un silence parfois trop lourd.
De nouveau, son regard fut attiré vers le bord droit de sa coiffeuse. Un journal y était étalé, la première page largement visible. Elle sourit. Un article indiquait que les recherches du corps de Paul Petit, disparu et supposé mort depuis maintenant deux ans, étaient arrêtées. Paul Petit était le fils et l’héritier du richissime Hervé Petit, éditeur de grande influence en ville. Lorsque le père était parti en retraite méritée, le fils avait repris les affaires. Or, bien moins doué que son paternel, Paul avait fait couler l’entreprise familiale, ruinant la réputation durement gagnée du nom qu’il portait. L’édition avait été vendue, puis rachetée par un journal local. Seule restée aux Petit la fortune du père, que celui-ci avait eu l’intelligence de garder accrochée à lui. Nombreuse sont les personnes la convoitant, son fils en faisait parti, persuadé que son nom sortirait du testament une fois le vieillard décédé. Malheureusement pour lui, on en avait décidé autrement. Maintenant, Paul Petit était mort tandis qu’Hervé Petit était en pleine forme.
Or, Paul Petit avait été aussi son amant. Elle l’avait persuadé de ne rien dire de leur relation à son père, ce qui fait que celui-ci ne la connaissait ni de visage, ni de nom. Elle repensa à l’article du matin-même. Les recherches de son corps arrêtées… Ils ne risquaient pas de le retrouver. Elle avait été trop minutieuse. Elle avait préparé son coup des semaines à l’avance. Le corps était enterré au milieu des bois, assez profondément pour que les loups ne le trouvent pas, faute de pouvoir le sentir. Elle l’avait attiré dans la clairière où ils s’étaient si souvent donné rendez-vous, prétextant une soudaine envie de le voir. Après leur embrassade, elle l’avait piqué dans la nuque avec une simple aiguille de couture en étain, enduite de curare. C’était simple, c’était propre et il n’avait rien senti. La contraction de ses muscles se fit au bout de deux à trois minutes, bloquant son diaphragme et l’empêchant ainsi de respirer. Pendant sa lente agonie, elle s’était occupée de faire fondre l’aiguille avec un briquet puis elle avait trainé le corps du mourant jusqu’à sa tombe.
C’est plongée dans ses souvenirs qu’elle enfila sa robe, ôta les quelques plis qui s’étaient formés et entreprit de se regarder dans le miroir au dessus de la cheminée. C’était parfait, à nouveau. Il l’avait mérité, se disait-elle. Et c’était pour une grande cause : sa grande cause. Après tout cela, elle pourra enfin goûter à une immense fortune. Il lui suffisait juste d’éliminer les gêneurs qui se tenaient entre elle et l’argent. La douce sonnerie de sa porte d’entrée retentit. Son rendez-vous était enfin arrivé, elle avait hâte. Elle allât ouvrir. Comme à chaque fois qu’elle le voyait, elle eût un choc. Les mêmes yeux verts la regardaient. L’homme lui lança le même sourire, accentuant ces mêmes fossettes. Avec le même tic, il passa ses mains dans ses cheveux d’un même blond roux. Elle se ressaisie, puis se laissa embrasser par Pierre Petit, le frère jumeau de Paul, tout en cachant son aiguille dans sa manche.