[Y] SN : nouvelle version

Azaëlle Lustig.
Trafiquante spécialisée dans la capture des Pokémon à l’état sauvage.
C’est bien plus simple, pour nous autres, clients. Pas de problème de vol, pas de problème d’appartenance, pas de problème d’autorité. Un simple échange, une somme assez conséquente à payer, et tout est réglé. Le Pokémon recherché est nôtre, et personne ne peut le contester car finalement, tout est légal. Ou presque.

Azaëlle Lustig. Elle est l’une de ces spécialistes.
J’ai rendez-vous avec elle aujourd’hui. Pour parler affaires. J’aurais besoin de ses services et de ses talents. Je sais parfaitement ce qu’elle est capable de faire, je l’ai déjà rencontrée voilà déjà près de trois ans. Elle avait effectué un contrat pour l’un de mes amis. C’est à cette période que je l’ai connue, bien que nous ne nous sommes qu’à peine croisés. J’ai des souvenirs assez flous de sa personne, mais l’image d’une jeune femme particulièrement séduisante me revient en mémoire. Et particulièrement douée. En trois jours, le contrat fut bouclé. Elle est repartie directement après et n’est finalement restée qu’une semaine dans la région. Elle sait se faire discrète lorsque la situation l’exige. Bien que je connaissais son visage, j’ai appris son nom tardivement, des semaines après notre première rencontre. Et j’ai mis longtemps avant de pouvoir la contacter, afin d’organiser le rendez-vous d’aujourd’hui.

Elle a rapidement posé ses conditions. Une rencontre non-officielle, dans un lieu tranquille, de jour. Nous nous sommes immédiatement mis d’accord sur un café du centre de la ville, que je fréquente souvent, où ma présence est par conséquent peu remarquée, et dans lequel elle n’a jamais posé les pieds. Je l’y attends maintenant depuis une vingtaine de minutes. Elle n’est pas en retard, loin de là. Je suis toujours en avance, au contraire.

Je l’attends donc dans ce café que je ne connais que trop bien. Il est presque plein en ce jour, et je pense avoir eu de la chance d’avoir trouvé une table postée au fond de la large salle, à l’écart des autres clients et du bar. Etant un habitué, je n’ai pas eu besoin d’aller voir l’un des serveurs pour qu’on m’amène une tasse de café fort, noir et sans sucre, qui fume désormais devant moi, déjà à moitié vidée. J’en bois d’ailleurs une nouvelle gorgée.

Une jeune femme rentre enfin, en franchissant discrètement la porte principale. Elle regarde vaguement autour d’elle, avant de rehausser sur son épaule droite son sac en bandoulière.
Indéfinissable. C’est ainsi que je la qualifierais. J’ignore si sa chevelure est blonde ou rousse. J’ignore si ses yeux sont bruns ou verts. Elle est à la fois unique et un subtil mélange de tout ce qui peut l’entourer. Elle se fond parfaitement dans la foule, sa petite taille et sa minceur accentuant encore cette impression que j’ai d’elle. Son regard légèrement maquillé se pose sur moi. Une petite étincelle s’y allume : elle m’a reconnu. C’est elle.
Azaëlle Lustig.
Elle se dirige vers moi, évitant avec élégance les quelques personnes se trouvant sur son passage, sans en effleurer ne serait-ce qu’une seule. Elle interpelle rapidement la serveuse, puis lui lance un sourire charmeur en pointant ma table. Elle ne cesse de la suivre du regard que lorsque la barmaid se trouve à nouveau derrière le comptoir. Puis elle continue son chemin avant de s’arrêter devant moi en me fixant de ses yeux vairons.

Je me lève pour aller à sa rencontre. Elle me tend sa main. Je la lui serre tout en évitant soigneusement de ne pas trop y mettre de force, comme je pourrais le faire face à des collègues masculins. Mais elle m’offre une poignée de main étrangement ferme et délicate.

« Monsieur Alcmène. »

Elle me salue d’une voix douce, posée, calme. Comme elle. Elle ne me paraît pas paniquée, elle semble parfaitement savoir quoi faire. Le timbre est rond, ni trop aigu, ni trop grave. Ses dires sont clairs, distincts, sonores. Ils sonnent dans la salle comme si nous y étions seuls. En deux mots seulement, je réussis à distinguer dans sa voix le léger accent chantant des régions du Sud. Peut-être Hoenn ou les Îles Sevii. Je l’ignore.
Elle me fixe, un sourire déterminé flottant sur ses lèvres. Sa main se serre légèrement tandis que je vois ses yeux tressaillir. Je finis tout de même par lui répondre.

« Mademoiselle Lustig. »

Sa main se retire soudainement de la mienne. Elle s’assois tranquillement sur la chaise en face de moi, croise les jambes, pose son coude sur la table puis sa joue dans sa paume. Je l’accompagne dans ce geste, reprenant place devant ma tasse de café. Elle se tient parfaitement droite, le dos à peine courbé en arrière comme pour mettre en valeur sa poitrine. Quelques cheveux retombent devant ses yeux, mais elle les balaie rapidement d’un vif geste de la main. Et elle me fixe toujours. Elle attend patiemment que je lui donne les raisons de ma demande, de ce rendez-vous d’affaire. Derrière ce visage d’ange se cache une patience et une détermination à toute épreuve. Jamais elle ne posera les questions en première. C’est à moi de le faire. D’être clair, précis.  Et seulement, elle décidera si elle accepte ou non mon offre.

*****

Extrait de l’interrogatoire d’Azaëlle Lustig.
15 Juin 2013.

Connaissiez-vous M. Alcmène ?

Qui ne connaissait pas Lysandre, sérieusement ? Lysandre Alcmène, l’entrepreneur le plus célèbre de Kalos ! Je l’ai connu bien avant que lui me connaisse. C’est une question stupide.

Quand avez-vous connu M. Alcmène ?

Il y environ trois ans. J’effectuais un contrat à Illumis lorsque nous nous sommes croisés, quand je sortais de chez mon client. Je l’ai reconnu immédiatement, bien que son entreprise n’était pas encore aussi florissante qu’aujourd’hui. Sinon, nous nous sommes revus il y a un peu moins d’un mois, dans un café du centre de la capitale, pour parler affaires. Nous nous étions mis d’accord sur ce lieu, car il le fréquentait, et y organisait souvent des rendez-vous professionnels. Etant donné sa notoriété, je ne souhaitais pas que sa présence soit remarquée. S’il n’avait jamais mis les pieds dans le lieu du rendez-vous, nous n’aurions pas pu y être tranquilles. Dans tous les cas, avec un tel client, je me doutais que nous ne serions tranquilles nulle part.

Quelle était la nature de votre contrat ? Ses termes exacts ?

Lysandre voulait que je récupère Yveltal, l’un des légendaires de votre région, et que je trouve comment le réveiller.
J’ignorais encore pourquoi à ce moment-là…

*****

Elle me fixe. Ses yeux vairons se plissent imperceptiblement alors que son visage reste dans une expression des plus neutres. Elle n’a pas l’air particulièrement emballée par mon offre. Même si elle tente de ne pas me le montrer, je le vois parfaitement. Je crains qu’elle ne refuse, et que je me retrouve sans aide. Je ne connais qu’elle qui soit capable de réaliser ce que je lui demande. Je veux que ce soit elle.
Elle finit tout de même par parler.

« Je ne cours plus après les chimères, M. Alcmène. »

Je note ce point, tique sur la phrase, l’analyse.

« Ce qui signifie que vous le faisiez. Avant. »

Son sourire s’accentue légèrement, ses mains se rejoignent devant elle. Ses yeux, eux, restent toujours aussi froids. Elle n’aime pas être contredite, peu lui importe par qui. J’ai beau être un personnage important de la région, je resterai un client comme un autre à ses yeux, et je n’aurai le droit à aucune faveur de sa part.
La serveuse revient vers notre table, pose une large tasse fumante devant elle, me sourit quelques instants, puis repart tout aussi rapidement qu’elle est arrivée. Aucun mot n’est décroché durant ce court laps de temps. Azaëlle continue de me fixer, un large sourire charmeur fendant son visage en deux. Puis elle se détend soudainement. Elle lance un rire sonore, qui résonne à travers la salle, avant de saisir sa tasse pour la porter à ses lèvres.

« Effectivement. Mais j’ai arrêté ces entreprises… Elles sont bien trop dangereuses, voyez-vous ? Et rien ne me garantit son existence. Je ne souhaite pas chercher un fantôme, M. Alcmène. »

*****

Extrait de l’interrogatoire d’Azaëlle Lustig.
15 Juin 2013.

Pourquoi avez-vous fini par accepter son offre ?

Ses équipes avaient déjà localisé Yveltal. Il était caché au fond de la caverne Gelée mais n’était pas capturable. Du moins, pas dans son état actuel, sous sa forme de cocon. Lysandre voulait en priorité que je trouve un moyen de le réveiller. Puis, pour être sûr de l’avoir, il souhaitait que je le lui capture. Par la suite, la procédure aurait été la même que pour mes autres clients. Je lui aurais échangé le légendaire contre un Rattata ou un Keunotor, afin que le Pokémon lui appartienne vraiment. Non sans une certaine compensation de sa part, bien évidemment.
Il m’a assurée être capable de pousser le prix bien plus loin que ce que je pouvais lui demander, ce dont je ne doutais pas le moins du monde. Après tout, il était riche. Mais la dangerosité de la mission n’aurait pas pu être compensée grâce à de l’argent.

Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?

Lysandre savait convaincre.

*****

« Vous refusez ? Je peux faire grimper la somme, si vous le souhaitez. »

Mes craintes viennent de se réaliser. Elle refuse mon offre.

« Désolée, M. Alcmène, mais l’argent n’y changera rien. »

Je pointe la photographie du cocon que j’ai placé sous ses yeux quelques instants plus tôt. La preuve prise par mes équipes qu’elle ne poursuivra pas une chimère. Même si je sais parfaitement qu’elle ne se laissera pas convaincre si facilement, mais je me dois au moins d’essayer. Seule elle peut réussir à faire ce que je lui demande.

« Vous avez pourtant sous les yeux la preuve qu’Yvetal existe. Je sais que vous avez beaucoup voyagé, Mlle. Lustig. Que vous exercez votre activité depuis longtemps maintenant. Si vous avez autrefois accepté ce genre de travail, pourquoi le refuser aujourd’hui ? »

Elle me lance un sourire, comme si sa raison était pourtant évidente.

« Je n’ai effectué qu’une seule fois ce genre de contrat, M. Alcmène. Les Pokémon uniques sont bien trop dangereux, imprévisibles, difficiles à contrôler. J’ai failli y laisser la vie en essayant, ainsi que celle de mon compagnon. J’ai finalement dû briser mon contrat pour m’en sortir. Je ne souhaite pas réitérer cette erreur. »

Ses yeux me fixent. Elle aborde un sourire triomphant sur son visage tandis que ses mains, toujours emmêlées devant elle, se mettent à trembler légèrement d’excitation. J’entends sa respiration s’accélérer discrètement et je vois ses oreilles rosirent. Son rythme cardiaque augmente également. Ses souvenirs ne semblent pas la laisser indifférente, mais pourtant, ce n’est pas de la peur qu’elle ressent. Mais plutôt de l’ivresse.

« Vous avez apprécié, n’est-ce pas ? »

Cette fois-ci, c’est un regard interrogateur qu’elle me lance. Son visage rond se penche légèrement sur la gauche tandis que je peux voir ses pupilles se rétrécir, me permettant d’apprécier les nombreuses petites taches brunes qui floconnent dans ses yeux verts. Elle fronce discrètement les sourcils et laisse finalement disparaitre le sourire qu’elle abordait depuis le début de notre rencontre. Malgré tout, sa voix reste forte, déterminée.

« De ? »

Ma réflexion est juste, j’en suis persuadée. Je me sens sourire.

« De le vaincre ? »

*****

Extrait de l’interrogatoire d’Azaëlle Lustig.
15 Juin 2013.

Comment s’est conclue cette rencontre ?

Malgré le fait que j’ai laissé Lysandre dans le doute, je savais déjà, en sortant du café, que j’allais finir par accepter son offre.

*****

« Bien… Je vais réfléchir à votre offre, M. Alcmène. »

Elle finit en vitesse son thé, puis se lève. Elle me salue une dernière fois en sortant de l’argent de son sac. Elle le pose sur notre table, me tourne le dos afin de sortir dans la rue, puis très sûrement de disparaître dans la nature. Je suis sûr de ne pas l’avoir convaincue. Je pense d’ailleurs que je n’aurais plus jamais de nouvelles de sa personne. En passant non-loin de la barmaid, elle lui sourit poliment une dernière fois, avant de sortir du bar en rehaussant son sac sur son épaule.
Dépité par mon échec, je baisse les yeux vers la table. Je remarque confusément le nombre de billets qui y sont posés, puis les compte. Elle a payé pour deux.

Extrait de l’interrogatoire d’Azaëlle Lustig.
15 Juin 2015.

Quand êtes-vous arrivée à Roche-sur-Gliffe ?

Plus tard que prévu.
Je pensais y arriver le soir de mon départ d’Illumis. Mais j’ai finalement atteint la ville le lendemain, au milieu de l’après-midi. J’ai eu un léger contretemps à Fort-Vanitas.

Quand êtes-vous arrivée à Fort-Vanitas dans ce cas ?

Peu avant midi, après environ deux heures de marche, comme je l’avais prévu.
Je comptais m’y arrêter pour manger avant de continuer mon chemin. Et je voulais me reposer un peu, également, bien que la route ne fut pas longue ou semée d’embuche. J’avais profité de ces deux heures de trajet pour mieux apprendre à connaitre Sulfure, et surtout voir ce qu’il valait au combat. Bien sûr, je n’ai pas été déçue, le Professeur avait raison. Il était loin d’être faible, malgré son jeune âge, et avec un peu de discipline et d’entrainement, il allait devenir un excellent élément.
Mais, comme je l’ai déjà dit, il était encore jeune, et découvrait un peu tout. C’était impossible de l’entrainer dans ces conditions, surtout quand il décidait soudainement d’aller renifler tout ce qu’il pouvait croiser, que ce soit une touffe d’herbe ou un Pokémon sauvage. Pour pallier à ce souci, je me suis rapidement décidée à capturer un autre compagnon, puis une équipe entière, finalement. Après tout, même si je m’étais toujours très bien débrouillée avec uniquement Tyl durant des années, je savais que, seul, Sulfure n’aurait pas pu faire grand-chose face… Face à tout ce qu’il aurait pu croiser, surtout des policiers bien plus entrainés que lui.
Ainsi, sur la route entre Illumis et Fort-Vanitas, j’ai pu intégrer un nouveau Pokémon à mon embryon d’équipe viable.

Quel était-ce ?

Vous ne le connaissez pas.
C’était un Couafarel mâle, que j’ai appelé William. Il n’était pas bien malin, et particulièrement faible, malgré une résistance impressionnante, je dois avouer. Mais voilà, il ne servait qu’à entrainer Sulfure, à l’aider si jamais ce dernier avait des difficultés. Il m’a été utile quelques fois, mais sans plus.

Quel fut le contretemps à Fort-Vanitas ?

Ivan Anderson.

*****

Son nom m’évoque vaguement quelque chose. Mais ma mémoire n’arrive pas à replacer cet homme. Il semblerait qu’Azaëlle soit bloquée à Fort-Vanitas à cause de lui. Visiblement, elle le connait, et ne l’apprécie pas. Je peux voir sur son visage du dégoût et de la colère.

« Ivan Anderson ? Qui est-ce ? »

Sa voix ronde m’apparait légèrement déformée à travers l’appareil, de même que son reflet. L’image grésille à intervalles réguliers, les sons sortent saturés et le décor qui se meut à l’arrière-plan me donne la nausée. Finalement, il est encore possible d’améliorer cette invention. C’est encore ce que je préfère faire dans mon travail. Être seul, chez moi, à bidouiller des circuits électroniques.
Azaëlle est assise à l’intérieur d’un centre Pokémon. Celui de Fort-Vanitas, si j’ai bien compris. Elle m’explique avoir un contretemps, à cause de cet homme, qui la retardera facilement d’une bonne journée. Ainsi, elle n’arrivera à Roche-sur-Gliffe que demain, dans le courant de l’après-midi.

« C’était une connaissance. Mon mentor, pour être plus précise. Il m’a tout appris du métier, et on s’est mis à travailler ensemble. Mais il s’est fait connaitre, puis arrêter, il y a cinq ans. Notre collaboration s’est brusquement arrêtée à cet instant. »

Cinq ans. C’est à cette période que le nom d’Azaëlle Lustig fut connu des forces de l’ordre, et que les recherches menées contre elle commencèrent. Ivan Anderson. Son nom me revient enfin. C’était un trafiquant, tout comme elle. Il s’est fait arrêter à Kanto, après une affaire qui a mal tourné. L’Affaire du Sainte-Anne à Kanto, l’avaient appelé les médias. La traque sur le bateau, par deux trafiquants, d’un Locklass destiné au zoo de Parmanie. Un Pokémon en voie d’extinction. Extrêmement rare, somme toute. Mais les garde-côtes avaient été alertées en avance, et l’un des deux criminels fut arrêté.
C’était Ivan Anderson, plus de cinquante ans déjà à cette époque. Il était extrêmement célèbre dans son milieu, si bien qu’il était l’un des trafiquants les plus recherchés par les Forces de Police Internationales. Son associé, quant à lui, avait réussi à s’enfuir. L’associé en question devait être Azaëlle. Il parait qu’Anderson avait fourni le nom de son coéquipier afin de réduire sa peine. D’après ce que me dit Azaëlle en ce moment, cette technique a fonctionné. Ivan Anderson est libre et se trouve à Fort-Vanitas.

« Et que veut-il ? »

Elle soupire en tendant un morceau de pain à l’extérieur du cadre. J’imagine qu’elle profite de cette pause pour s’occuper de ses Pokémon. Elle m’a informé qu’elle en avait capturé un nouveau, un Couafarel, pour qu’il puisse aider son Salamèche à progresser.

« Il veut que je l’aide. Un Ronflex bloque le passage jusqu’à Roche-sur-Gliffe. Ce Pokémon une vedette à Fort-Vanitas, à tel point qu’il fait presque parti du décor, et que les habitants le vénèrent lorsqu’il arrive. Mais selon Ivan, il reste sauvage. Avec un tel Pokémon sur le marché, ce ne sera pas bien compliqué de faire un retour en force dans le métier. »

Je ne comprends pas tout. Pourquoi une telle carrure du trafic de Pokémon aurait-il besoin d’Azaëlle pour capturer un Ronflex ? Et visiblement, ses quelques années derrière les barreaux ne l’ont pas dissuadé de prendre sa retraite.

« En quoi intervenez-vous dans cette histoire ? »

*****

Extrait de l’interrogatoire d’Azaëlle Lustig.
15 Juin 2015.

Pourquoi avait-il besoin de votre aide ?

Eh bien, le Ronflex était endormi au milieu de la route. Impossible de le capturer dans cet état, il récupère sans cesse de l’énergie. Il fallait donc trouver un moyen de le réveiller. Enfin… Il fallait plutôt se procurer le moyen de le réveiller. C’est à ce niveau qu’Ivan avait besoin d’aide.

Quel était ce moyen ?

Une flûte. Une simple flûte. Exposée au Palais Chaydeuvre, à quelques centaines de mètres de Fort-Vanitas. Selon Ivan, je devais entrer pour… Emprunter la flûte, disons.

Pourquoi ne pouvait-il pas le faire lui-même ?

Ivan, durant sa folle jeunesse que je n’ai pas connue, avait batifolé avec la propriétaire du Palais, avant de la lâcher en emportant bijoux, tableaux et Pokémon rares. Autant dire qu’il était sur la liste noire et qu’il faisait mieux de ne plus s’y aventurer.
Ainsi, son plan était simple. Pour que je puisse continuer ma route jusqu’à roche-sur-Gliffe, j’avais tout intérêt à aller voler cette flûte au Palais, afin qu’il réveille le Ronflex qui bloquait le chemin, qu’il le capture, et qu’il fasse un retour en force dans le métier. C’était tout bénèf’ pour nous-deux. Lui avait son Pokémon rare. Et moi, je pouvais continuer sans encombre mon contrat.

*****

« Vous allez accepter ? »

Elle soupire. Je vois son visage rond se baisser vers la table à laquelle elle est assise. Elle semble triturer ses mains à l’extérieur du cadre ; ses lèvres se tordent en une moue inquiète. Visiblement, elle n’est pas très emballée à l’idée d’aider son ancien associé, mais je connais déjà sa réponse par avance. Après tout, elle ne me parait pas avoir le choix.

« J’y suis bien obligée. Sinon, je ne pourrai pas avancer. Ce Ronflex bloque le passage jusqu’à Roche-sur-Gliffe, si je veux continuer, je dois l’aider. Et qui sait ce qui pourrait passer par la tête d’Ivan si jamais je refuse. »

C’est bien ce que je pensais. Azaëlle est inquiète à l’idée de revoir son mentor. Qu’a-t-il bien pu se passer entre eux pour qu’elle le haïsse et qu’elle le craigne à ce point ? Le seul fait qu’il l’ait dénoncée aux forces de police ne suffit, en mon sens, pas à ce qu’elle éprouve un tel ressentiment à son égard. J’ignore quelle fut leur relation durant les cinq années aux cours desquelles ils travaillèrent ensemble. Lorsqu’ils se sont connus, Anderson était déjà bien plus âgé qu’elle…

« Pourquoi le craignez-vous ? »

Je vois immédiatement dans ses yeux que je viens d’aller trop loin, que j’ai franchi la limite à ne pas franchir pour elle. Elle redevient instantanément froide, et distante. Son visage n’affiche plus aucune émotion. Elle se repositionne droite, fière et surtout, intouchable. J’ai constamment l’impression de faire un pas en avant, puis deux en arrière. Je repense soudainement à ce qu’elle m’a dit, plus tôt dans la journée. Elle n’entretient aucun lien d’amitié avec ses clients. Y compris moi, donc.
Pourtant, à travers son regard et son attitude, je remarque qu’elle réfléchit. Elle me fixe de ses yeux vairons, me juge, me jauge. Je ne sais pas à quoi elle peut bien penser. Son visage se penche légèrement sur le côté, comme à son accoutumé, alors que ses mains viennent soutenir son menton. Finalement, un léger sourire apparait sur ses lèvres. Il n’est pas froid, comme je m’y attendais. Mais plutôt amusé.

« Pour vous répondre sobrement, M. Alcmène, Ivan est un homme dangereux, imprévisible. Même son oiseau est dangereux. Je ne le crains pas. Je sais juste ce dont il est capable. »

*****

Extrait de l’interrogatoire d’Azaëlle Lustig.
15 Juin 2013.

Son oiseau ?

Ivan possédait un Noarfang, qu’il appelait Yannick.
Il l’avait élevé depuis son plus jeune âge, un peu comme j’ai pu le faire avec Tyl. Du coup, son Noarfang lui obéissait au doigt et à l’œil. La première fois que j’ai vu ce qu’ils donnaient en duo, j’étais impressionnée. Le principal rôle de l’oiseau était d’infiltrer la tête des gens pour qu’Ivan puisse leur demander ce qu’il souhaitait. Il a utilisé cette technique avec beaucoup de monde, à plus ou moins long terme. Sur moi y compris…
Mais en plus de cette aptitude, Ivan l’avait particulièrement bien entrainé. C’était un as du combat. Il a fallu des années à Tyl pour pouvoir se dresser face au Noarfang. Et quand il en a enfin eu la possibilité, c’était moi qui ne pouvais plus tenir tête à Ivan.

Quel était le plan pour entrer dans le Palais et voler la flûte ?

Rien de bien compliqué. Ivan m’avait déjà communiqué la méthode qu’il comptait appliquer avant même qu’il ne m’oblige à accepter son offre.
La propriétaire du Palais organisait une réception dans le courant de l’après-midi. C’était le seul moment où la flûte, normalement exposée sous verre, allait être sortie et montrée aux invités. Bien sûr, elle n’allait pas passer de main et main, mais elle serait tout de même plus accessible qu’en temps normal. Ivan m’avait juste communiqué ces informations. Pour la suite, j’allais devoir me débrouiller par moi-même. Non pas que c’était gênant, loin de là. Après tout, je n’étais plus sous ses ordres depuis cinq ans…

*****

« Comment comptez-vous procéder ? »

Elle hausse les épaules en clignant rapidement des yeux. Je crois qu’elle n’a pas vraiment eu le temps de réfléchir à ce qu’elle comptait faire. Après tout, de ce que j’ai cru comprendre, sa discussion avec Anderson s’est terminée peu avant qu’elle m’appelle pour me donner de ses nouvelles. Il l’a prise au dépourvu, et elle a tout intérêt à réfléchir vite. Sinon, qui sait ce qui pourrait passer par la tête d’Ivan, comme elle a dit plus tôt.

« Je n’ai pas encore d’idée précise. La réception est ouverte à tous, ce ne sera donc pas bien compliqué d’entrer dans le Palais. Je ne vais pas y aller avec cette tête, par contre, je vais me changer. En revanche, pour la flûte et la sortie… Je ne sais pas. J’improviserai sur place, je pense. C’est l’une de mes spécialités, selon Ivan. »

J’imagine qu’il a raison sur ce point. Après tout, il la connait bien mieux que moi. Il l’a côtoyée pendant près de cinq ans, l’a formée, lui a tout appris. Je me doute qu’elle est parfaitement capable d’élaborer un plan d’avance, et de le modifier en urgence si nécessaire. Sinon, elle n’en serait pas là où elle en est aujourd’hui. Sinon, elle aurait depuis bien longtemps été arrêtée.
Sinon, je ne l’aurais pas rencontrée.

« Je profiterai de la route vers le Palais Chaydeuvre pour entrainer Sulfure et le Couafarel. Et pourquoi pas tenter d’attraper un nouveau Pokémon. Dans tous les cas, ces deux-là me seront sûrement utiles pour récupérer la flûte… Une fois que le Ronflex sera entre les mains d’Ivan, je partirai immédiatement de Fort-Vanitas. »

Je vois ses yeux vairons se perdre. Elle réfléchit.
Je suppose que je vais devoir la laisser, afin qu’elle puisse se diriger au plus vite vers le Palais Chaydeuvre. J’ignore ce qu’elle va bien pouvoir en penser ; il a dû bien changer depuis ma dernière visite. Etrangement, jamais elle ne met fin à la conversation d’elle-même. C’est un bien étrange signe de politesse venant d’elle, mais je me rappelle de son léger accent chantant des régions du Sud. Peut-être n’avons-nous pas été élevés de la même manière, après tout.

« Bien. Je vous laisser régler cette histoire au plus vite, Mlle. Lustig. »

Je la vois me fixer quelques secondes. Un silence s’étire avant qu’elle hoche rapidement la tête, me lance un sourire amusé, puis raccroche plus vite que je ne l’aurais pensé. Je me retrouve donc seul dans mon bureau, sa voix ronde flottant encore légèrement autour de moi. Je m’affaisse sur mon siège en soupirant.
Ivan Anderson… Pourquoi est-il revenu maintenant ? Et à cet endroit, surtout ? Je vois tout de même un nombre ahurissant de coïncidences avec sa venue. L’arrivée d’Azaëlle dans la région alors qu’elle n’y avait pas mis les pieds depuis trois ans. Le Ronflex qui bloque le chemin jusqu’à Roche-sur-Gliffe, lieu où elle se rend. La réception au Palais, facilitant la récupération de la flûte. Au même moment. Tout me paraît trop simple. Et à elle aussi. Sinon, elle ne souhaiterait pas partir de Fort-Vanitas et s’éloigner de son ancien mentor aussi rapidement. Elle est loin d’être stupide. Elle a également remarqué que tout était trop simple, trop facile.
J’appelle mon secrétaire, qui rentre dans mon bureau dans la minute qui suit. Toujours aussi efficace.

« Anderson. Ivan Anderson. Faites des recherches sur lui. Je veux tout savoir de sa vie. Et notamment ce qui s’est passé ces cinq dernières années. »

« Alors ? Cette visite au Palais Chaydeuvre ? »

C’est un regard on ne peut plus noir que je la vois me lancer. Pourtant, elle trahit sa pensée en laissant apparaitre sur son visage un léger sourire d’amusement. Finalement, ce sont ses pupilles qui deviennent rieuses. Puis elle abandonne quelques instants son masque pour laisser éclater un petit rire sincère. Les fossettes dans le coin de ses lèvres s’accentuent dans le même temps, alors qu’elle laisse encore flotter son sourire quelques secondes supplémentaire.

« C’était affreux. »

Je me doutais qu’elle réagirait de la sorte.
Je la vois se balancer légèrement en arrière sur le banc où elle est assise, dans un geste presque enfantin. Elle m’a dit se trouver non loin de l’entrée de la Cave Connecterre. Elle sera bientôt arrivée à Roche-sur-Gliffe, dans le courant de l’après-midi, comme elle l’avait prévu. Mais en attendant, il est plus de midi, et elle a décidé de faire une courte pause avant la grotte, histoire de manger. Je la vois d’ailleurs avec l’un de ces sandwichs insipides des centres Pokémon. Peut-être n’est-ce que ce qu’elle a eu le temps de prendre avec elle, avant de partir de Fort-Vanitas. Ce ne serait pas si étonnant, après tout. C’est ce qu’elle souhaitait. S’éloigner au plus vite d’Anderson.

« Ce genre d’univers n’est vraiment pas fait pour moi. Trop de luxe partout… J’avais l’impression d’être trop visible, tellement je ne l’étais pas assez. Et cette réception… Peuplée de personnes qui se pensaient aussi importantes les unes que les autres. »

Elle rigole.

« J’ai tout de même réussi à récupérer cette maudite flûte, mais ce n’est pas passé inaperçu, bien évidemment. Désormais, elle doit toujours être en la possession d’Ivan. Le connaissant, ce serait étonnant qu’il aille la rendre docilement. »

Etrangement, je n’en suis pas si sûr. Et elle non plus. C’est marqué sur son visage, encore légèrement inquiet de cette rencontre avec son ancien compère. Mais elle me tait ses interrogations, préférant le silence à l’aveu de ses craintes.

« Et pourquoi donc ? »

Elle m’examine de ses yeux vairons, laisse planer un léger silence. Elle n’est pas stupide, elle voit parfaitement bien que je ne fais aucunement confiance à Anderson, tout comme elle. Mais a-t-elle compris que je partage également ses pensées ?

« Elle est précieuse. Tout simplement. Ivoire de Mammochon, sculptée à la main. C’est une pièce de collection, unique, je dirais. D’une grande valeur. En plus d’un Ronflex, Ivan aura une flûte à mettre sur le marché noir. »

*****

Extrait de l’interrogatoire d’Azaëlle Lustig.
15 Juin 2013.

Ainsi, vous ne vous spécialisiez pas uniquement dans la capture et la vente de Pokémon.

C’est exact. Ivan et moi s’étions très tôt spécialisés dans les objets d’art également, comme les tableaux, les bijoux, les livres, et cetera. Et les instruments aussi, du coup.

Comment avez-vous réussi à voler la flûte, au Palais Chaydeuvre ?

Eh bien, ce n’était rien de bien compliqué. J’ai rapidement pu mettre en place une stratégie simple, lorsque j’ai appris qu’il y allait avoir une représentation au cours de l’après-midi. La flûte allait bel et bien sortir de son cocon de verre, pour être montrée aux yeux du public. Un musicien avait spécialement été engagé à cette occasion, et allait se produire sur scène, au milieu de la pièce centrale du palais. Mais les invités allaient rester debout durant le spectacle. Autant dire que ce me fut utile.
Finalement, le Couafarel a été bien plus pratique que je ne l’aurais pensé lorsque je l’avais capturé. J’ai pris soin de me placer au premier rang, proche de la scène. Sulfure a aveuglé tout le monde avec un brouillard, et le Couafarel en a profité pour bousculer le musicien, qui a lâché la flûte. Le tout pendant la représentation. Une fois la panique semée, j’ai pris l’instrument et suis partie de la pièce, en cachant la flûte dans mon sac et en rappelant mes Pokémon dans leurs pokéballs respectives. Je n’avais pas besoin de semer plus de trouble.

Et cette opération s’est passée sans encombre ?

Presque rien à signaler, effectivement. Mis à part, qu’en sortant de la pièce où se tenait la représentation, j’ai croisé le majordome, qui venait voir ce qui se passait. Mais dans la panique, et grâce à la fumée que Sulf’ avait craché, j’ai pu feindre une forte toux, et il m’a laissé en paix.

*****

« Et personne ne vous a repéré ? »

Elle hausse rapidement les épaules, dans un geste manifestement désintéressé. Ses yeux se lèvent quelques secondes vers le ciel alors que l’une de ses mains part vers l’arrière de son cou. Et elle se balance à nouveau sur son banc, son attitude enfantine contrastant fortement avec le sujet de la conversation. Et avec sa personne en générale tout autant, si ce n’est plus. De ma vie, je crois n’avoir jamais vu de femme aussi sérieuse.

« Si. Un majordome. Mais c’est sans importance. Le temps que l’on remarque que la flûte avait disparu, j’étais déjà loin du Palais, et Ivan l’avait déjà en sa possession. De plus, je n’ai bien évidemment pas donné mon vrai nom à la réception et je m’étais changée. Une fois en dehors du Palais, j’avais déjà disparu dans la nature, somme toute. »

Ce n’est pas si étonnant, venant de sa part. Azaëlle est une femme capable de changer de visage en fonction des situations, paraît-il. De nombreuses identités et de nombreux visages, telle est la meilleure manière de la décrire. Lentilles, lunettes, accessoires, vêtements, coiffure, maquillage. Et surtout comportement. Jamais elle ne fait tomber son masque, peu importe avec qui. Rares sont ceux qui peuvent se vanter de l’avoir réellement entraperçue un jour. Encore plus rares sont ceux qui peuvent se vanter de la connaitre réellement. Anderson en fait partie.
Quant à moi, je ne suis même pas sûr de connaitre son vrai visage.

« Et le Ronflex ? »

Elle me lance une petite moue amusée, tandis que je vois son vague sourire s’accentuer discrètement. Une légère moquerie apparait soudainement dans son regard. Pour elle, la question semble idiote, mais je la fais visiblement rire.

« Ivan s’en est chargé dans le courant de la nuit. Il doit sûrement l’avoir déjà envoyé je ne sais où, afin que personne ne le voit en sa possession. Je suis d’ailleurs partie de Fort-Vanitas ce matin même, vers neuf heures, en prenant soin de ne pas le croiser. »

Ainsi, elle n’a pas vu Anderson s’occuper de ce Pokémon, et elle ignore ce qu’il a bien pu en faire. Toute cette affaire m’inquiète, d’autant plus que je n’ai toujours pas les résultats de recherches que j’ai demandées hier. Anderson est louche, et même elle s’en est rendue compte. Je suis soulagé de savoir qu’elle s’est rapidement éloigné de cet homme. Désormais, j’espère juste qu’elle n’aura pas à le rencontrer de nouveau.

*****

Extrait de l’interrogatoire d’Azaëlle Lustig.
15 Juin 2013.

Quand avez-vous quitté Fort-Vanitas ?

Le matin du 21 Mai, vers neuf heures, après avoir passé la nuit à l’hôtel du village.
J’avais bon espoir d’arriver à Roche-sur-Gliffe dans le courant de l’après-midi, malgré la route assez longue pour arriver jusqu’à cette ville. Je me suis d’ailleurs arrêtée peu avant l’entrée de la Cave Connecterre, afin de manger l’un de ces sandwichs immondes qu’ils vendent aux Centre Pokémon. Et d’appeler Lysandre, également.

Quel fut le sujet de cette conversation ?

Lui donner tout simplement des nouvelles, lui indiquer que j’avais repris la route normalement, et que cette histoire avec Ivan s’était conclue sans incident notable. J’essayais de m’arranger pour l’appeler toujours le soir, ou entre midi et quatorze heures, histoire d’éviter un maximum de le déranger pendant son travail.

*****

« La route jusqu’ici s’est bien passée, au moins ? »

Le léger sourire qu’elle porte constamment s’accentue discrètement en entendant cette question. Puis, avant qu’elle me répondre, je la vois se pencher sur le côté. L’appareil, qu’elle a probablement posé sur ses genoux, ballote lentement avant de basculer, me laissant apercevoir ses cheveux roux-pâle, tombés en cascade devant son visage.
Puis elle se redresse, et replace correctement son Holokit en poussant un faible juron qu’elle pense que je n’entends pas. L’une de ses mains vient saisir un pan entier de sa chevelure afin de la replacer correctement derrière son oreille. Son autre main maintient fermement contre sa poitrine un Pokémon. Un Cradopaud. Elle le rehausse dans ses bras, comme pour mieux me le montrer.

« Je l’ai capturée un peu avant de m’arrêter ici, dans les hautes herbes juste à côté de l’entrée de la grotte. Elle s’appelle Alyt. J’espère qu’elle tiendra plus longtemps que le Pokémon que j’avais en vue, sur la route avant le Palais Chaydeuvre.
Sinon le chemin fut relativement calme. La vue est jolie, il faut bien avouer. Il y a quand même de sacrés paysages dans votre région. »

Kalos est effectivement prisée des touristes et des voyageurs. Moi-même, j’en ai fait le tour, voilà bien longtemps maintenant. Même si je continue à faire des déplacements de temps à autres, je ne sais pas si je serais capable de repartir pour un tel voyage. Et Azaëlle qui bouge depuis maintenant près de dix ans… Elle a dû voir bien plus de paysages que moi, qui n’ai jamais vraiment quitté la région dans un but purement touristique. Je m’entends soupirer doucement.
Je redresse à nouveau la tête vers l’appareil. Elle me fixe, quelques questions visibles dans ses yeux vairons. J’ignore lesquelles elles sont, mais pourtant, elle ne me les pose pas, les jugeant sûrement trop personnelles à mon goût et surtout au sien. Pas de relations amicales entre elle et ses clients... Je détourne la conversation.

« Le Pokémon sur la route du Palais ? Quel Pokémon ? »

Cette fois-ci, c’est à son tour de soupirer et de baisser les yeux un court instant. Elle rehausse rapidement la Cradopaud dans ses bras, puis la laisse partir. Avant de me regarder à nouveau, je la vois détourner son regard derrière l’appareil, droit devant elle. J’entends un faible rugissement au loin. Je suppose que ses Pokémon sont partis se défouler dans les herbes à côté de l’entrée de la grotte, et qu’elle les surveille.

« C’était un Ningale. J’aurais bien aimé le capturer, mais il a fini comme déjeuner pour le Noarfang d’Ivan… »

Décidemment. Il a sûrement dû aller lui parler avant qu’elle n’entre dans le Palais pour voler la flûte, afin de voir ce qu’elle avait prévu de faire. Ou afin de la surveiller encore plus qu’il avait déjà pu le faire, plus tôt dans la journée d’hier.

« De toute façon, ce n’était pas un Pokémon qui m’attirait énormément. Juste… Un membre en plus dans l’équipe, ce n’est jamais de trop. »

Je n’en sais rien, je n’ai jamais vraiment eu d’équipe stable, malgré le fait que je m’intéresse au dressage. Elle non plus, d’ailleurs. Elle a toujours été seule. Seule avec son Libégon. Les quelques Pokémon qu’elle n’a jamais capturé furent destinés à la vente au marché noir. A-t-elle seulement déjà eu de vraie équipe, complète ? S’est-elle seulement déjà attaché à un autre Pokémon que Tyl ?
Je n’en sais rien. Je ne sais rien d’elle.

*****

Extrait de l’interrogatoire d’Azaëlle Lustig.
15 Juin 2013.

Un Cradopaud ? Ce fut votre deuxième prise ?

« Prise » n’est pas vraiment le bon terme. Je ne capturai pas ces Pokémon pour les vendre. De toute façon, ils ne valaient pas grand-chose. Je voulais tous les rendre à leur propriétaire ou les relâcher, une fois Tyl revenue à moi.
Mais oui, cette Cradopaud fut ma deuxième capture. C’était une femelle qui s’appelait Alyt. J’étais contente d’être tombée dessus avant la Cave Connecterre, c’est un bon Pokémon, que j’apprécie particulièrement. Elle avait un caractère assez calme et posée. A peine capturée, je pouvais déjà la porter sans qu’elle ne se rebiffe. Mais bon, elle n’a finalement pas tenu très longtemps. Même pas vingt-quatre heures. Même pas douze.

Que s’est-il passé ?

La deuxième partie du chemin jusqu’à Roche-sur-Gliffe fut assez compliquée.

*****

« Parfait, Mlle. Lustig. Je vais vous laisser continuer votre chemin tranquillement. »

Elle hoche rapidement et discrètement la tête, avant de pousser un long sifflement strident en regardant par-dessus son appareil. Les rugissements et grognements que j’entendais au loin s’arrêtent subitement. Elle vient de rappeler ses Pokémon. Les méthodes d’éducation d’Azaëlle sont, paraît-il, assez originales. Elle ne parle qu’à son Libégon et communique avec le reste de ses Pokémon avec des sifflements et des bruits de bouche. Cette technique a dû lui être transmise par Anderson, qui était d’ailleurs connu pour. J’imagine que ce doit être particulièrement déstabilisant durant un combat.

« Bien, M. Alcmène. Bon après-midi à vous, dans ce cas. Je vous tiens au courant à mon arrivée à Roche-sur-Gliffe. »

Je l’interpelle avant qu’elle raccroche. En plus de jamais finir d’elle-même la conversation, elle a la fâcheuse tendance à raccrocher très rapidement.

« Prenez garde à la route après la grotte. C’est une route de falaise. »

Son visage se décompose tandis que je la vois blanchir petit à petit. Ses yeux vairons s’écarquillent légèrement, et le sourire qu’elle affiche en permanence a, quant à lui, totalement disparu. Je n’en vois même plus l’ombre. L’idée d’avoir à marcher sur des falaises semble la terrifier.

« Vous n’avez tout de même pas le vertige, Mlle. Lustig ? »

Elle me lance un regard noir, sans pour autant retrouver toute sa prestance.

« Non. »

Je la vois détourner les yeux vers la droite, en rougissant soudainement. Cette fois-ci, je ne parviens pas à ravaler mon sourire d’amusement. Elle a visiblement honte d’avoir peur du vide. Elle ne doit peut-être pas vouloir casser son image de femme forte. Ce n’est pourtant un petit vertige qui va effacer l’idée que je me fais d’elle. Ainsi, lorsqu’elle me répond, elle le fait d’une voix blanche.

« Si… Mais je m’y ferai. »

Elle raccroche enfin.
Je me retrouve ainsi seul au milieu de la rue, un sourire niais flottant sur mes lèvres. Sourire que ne manque pas de relever Louis une fois qu’il sort de son laboratoire. Il me lance un regard on ne plus explicite, avant de se diriger dans ma direction. Je me demande soudainement depuis quand il est sorti de son laboratoire, et qu’il peut, par conséquent, entendre la conversation que j’ai eu avec Azaëlle.
Mais je ne lui demande pas. Je lui ai promis d’aller manger avec lui ce midi. Il semblerait qu’il ait besoin que je lui rende un service. Nous nous éloignons enfin de son laboratoire pour nous engager dans la rue. Dans le même temps, Louis me pose une main sur l’épaule.

« Dis-moi, Lysandre ? Est-ce que tu as déjà entendu parler de la Méga-Evolution ? »