[X] Brujería

Il était une fois, dans une contrée très lointaine, un paisible royaume situé dans une mer de sable chaud. Elle était réputée dans le monde entier pour son air pur, son agréable soleil, et sa végétation luxuriante. De longs arbres pareils à des palmiers entouraient le pays perlé de fleurs exotiques aux couleurs exquises. Vu du haut, on avait l’impression de regarder la magnifique toile d’un Queulorior pointilliste.

Cet empire était gouverné par un souverain à la grande compassion. Les citoyens lui vouaient un profond respect tant il débordait d’amour pour les familiers, ces étranges créatures aujourd’hui connues sous le nom de Pokémon. Malheureusement, sa majesté était accablée par la mélancolie, car il cachait un terrible secret au plus profond de son cœur de ténèbres. En effet, le précieux compagnon qui l’accompagnait depuis sa plus tendre enfance rendit son dernier souffle il y a trois étés de cela, ce qui le plongea dans une inconsolable tristesse.

La culpabilité qu’il ressentait était si dévorante que le roi finit par tomber malade. Des guérisseurs de renom vinrent à son chevet afin de soulager sa peine, mais ils furent choqués lorsque leur bien-aimé roi leur soumit une requête des plus terrifiantes pour sa guérison : recourir à la magie noire. L’idée de devoir ressusciter son familier les effraya et ils l’abandonnèrent, le laissant seul face à son désespoir.

Déterminé à exaucer sa dernière volonté, le roi se mit alors en route pour Kalos, une école de sorcellerie dans laquelle les apprentis sont répartis dans trois illustres maisons à l’effigie des légendaires : Xerneas, l’essence de l’Existence. Yveltal, l’incarnation de l’Annihilation. Zygarde, le gardien de l’Equilibre.

Là-bas, il fit la rencontre d’un savant en magitechnologie. Il était vêtu d’une vaste cape noire dotée d’une grande capuche qui couvrait tout son être. Celui-ci accepta d’utiliser une machine ensorcelée capable de ramener les défunts à la vie. Néanmoins, une telle magie était interdite puisqu’elle nécessitait une incommensurable énergie que seul la présence de nombreux familiers pouvait catalyser. En conséquence, l’homme mystérieux demanda au seigneur une compensation à la hauteur de ce qu’il s’apprêtait à accomplir : sa couronne.

Aveuglé par sa quête, le roi accepta de signer les termes du contrat malgré tout. Il ne s’en doutait pas alors, mais il venait de vendre son âme au diable. Bientôt, le royaume fut frappé par de nombreuses disparitions. Le monarque reclus attira les suspicions des citoyens inquiets malgré sa promesse de tout mettre en œuvre pour résoudre cette énigme. Pourtant, il savait pertinemment que c’étaient les hommes de son complice qui étaient à l’origine de ces enlèvements.

Des mois plus tard, quand le rituel fut fin prêt, il couronna son successeur et ne put s’empêcher de verser des larmes de joie à l’idée de retrouver son compagnon. La cérémonie magique se déroulait dans le désert isolé où les pires criminels étaient envoyés, sans rien à boire, pour purger leur peine. Malheureusement, au moment fatidique de la résurrection, l’horreur le frappa. Les familiers, placés en arc de cercle sur les rochers, se mirent à hurler de douleur. Un à un, ils se vidèrent de leur énergie et se mirent à exploser, versant des gouttes de sang telle une pluie battante sur le sable qui se teinta d’un rouge épais. L’odeur de fer monta au nez du roi déchu et il fut abasourdi par le bruit strident des détonations. Devant un tel spectacle, il ne put s’empêcher de vomir, de crier et de pleurer. Au milieu des cadavres de toutes ces bêtes qu’il aimait tant et qu’il avait vu grandir aux côtés de chacun des habitants de son royaume, l’Arme Suprême brillait de mille feux dans une lueur blanche immaculée. Devant elle, le sage se tenait droit, caché sous sa cape devenue écarlate.

Après le vacarme, le silence s’installa et régna sur toute l’immensité de l’étendue de sable. Quelle ne fut pas alors la surprise de l’ancien monarque lorsqu’il s’aperçut que ce n’était pas son familier qui fut ressuscité. Il vit seulement le sorcier faire virevolter sa cape dans un mouvement gracieux. Le calme fut vite rompu par une voix glaciale soufflant un sort : « Desaparición ». Puis, tout fut plongé dans l’obscurité la plus totale. Après seulement quelques secondes qui lui semblèrent être des heures, la lumière émise par une Ball violette, rose et blanche à la main de l’assassin l’aveugla. Puis, c’est comme si le soleil se leva à nouveau. Le nouveau roi soumit l’autre créature à sa volonté. Tout autour de lui, il ne restait plus rien. Plus la moindre trace des familiers ou de leur sang. Plus d’Arme Suprême. Rien. L’instant d’après, c’est le magicien lui même qui s’évapora.

Quelques jours plus tard, le vieil homme parvint à revenir au château dans un piteux état. Ses vêtements étaient sales et déchirés. Ses yeux clairs étaient entourés de cernes violacés. Sa barbe avait poussé et ses cheveux étaient ébouriffés. Il dégageait une odeur si nauséabonde que les gardes ne purent s’empêcher de couvrir leurs narines. Ils lui refusèrent même l’accès. C’est que, à présent, un autre gouvernait le pays et sa signature sur le contrat en était la preuve irréfutable. De toute façon, cela faisait un moment déjà que le peuple souhaitait le voir destitué tant sa folie leur semblait dangereuse.

Mais comment pouvaient-ils accepter un si sombre chef ? Ne savaient-ils pas de quoi il était capable ? L’homme affaibli poussa du mieux qu’il le put les gardes qui n’osèrent pas mettre les mains sur lui. Furieux, il entra dans la salle du trône dont les portes se fermèrent derrière lui. Il attrapa de ses mains crispées et ridées la longue cape du sorcier qui lui tournait le dos avec le peu de force qui lui restait. Il lui hurla de lui rendre son dû. Le mage tira fermement sur sa tenue, ce qui fit tomber le vieil homme à genoux devant lui. Le mystérieux sage se rapprocha alors de lui. Il le regarda de haut. C’était la première fois que l’ancien roi voyait son successeur d’aussi près. Il avait de longs cheveux blancs et des yeux si noirs qu’ils semblaient regarder au cœur même des ténèbres. L’érudit lui dit intimement, d’une voix malicieuse :

« Vous voici enfin à la place qui vous est due… Cherchez bien, vous trouverez sûrement Trépassable dans toute cette poussière ! »

À ce moment précis, toute humanité quitta le vieillard dont le visage fut défiguré par la folie provoquée par les événements passés et par la déshydratation. Dans une ultime tentative de se rendre justice, il tenta d’empoigner le nouveau monarque au cou, mais une ombre furtive, pareille à un spectre, apparut devant lui. La créature de près de trois mètres se matérialisa dans une lumière jaunâtre et l’arrêta net à l’aide de l’une de ses grandes mains de roche et d’argile.  

« Tu as tué tous nos compagnons ! Comment es-tu parvenu à tous les duper ainsi ? Notre contrée toute entière va disparaître à cause de tes actes ! Pourquoi est-ce que personne ne me croit ? Je ne suis pourtant pas fou ! JE. NE. SUIS. PAS. FOU ! »

Ces mots résonnèrent dans toute la salle, qui lui répondit « Fou ! » en écho à plusieurs reprises. Le vieil homme regarda tout autour de lui, comme pour voir d’où venaient ces voix. « Taisez-vous ! Silence ! » leur répondit-il avant de tousser bruyamment.

« Là, là… Tout va bien ! Ne vous inquiétez pas. Dans ma grande clémence, je vais mettre fin à votre souffrance. Bientôt, vous pourrez même retourner jouer avec votre château de sable. Maintenant, si vous pouviez disparaître, car j’ai un véritable royaume à gouverner ! » Sur ces paroles, deux autres spectres se matérialisèrent devant le vieil homme. Ces familiers d’acier se mirent sous sa gorge en formant une croix, comme prêts à lui couper la tête au moindre geste de leur maître. « Gardes ! » cria le sorcier, avant que ses soldats n’entrent dans la salle. « Emmenez ce vieux fou ! » leur ordonna-t-il. Ils obéirent, malgré un pincement au cœur.

Le roi déchu, ainsi piégé, fut alors jugé par le Conseil des Sorciers — un ordre composé des cinq plus redoutables mages de Kalos — et condamné à mort pour recours à la magie noire. La dernière image qu’il eut en tête avant de rendre son dernier soupir fut le sourire discret et narquois de son bourreau. Quant à l’Arme Suprême, nul ne sait où elle se trouve. D’après la légende, elle aurait été scellée par de puissants sortilèges dans les profondeurs du château. On raconte également que seuls huit artefacts magiques exposés à l’énergie de l’une des créatures sacrées ont le pouvoir de la réactiver. Cependant, la magitechnologie étant désormais un art oublié et les sorciers la maîtrisant étant rares et discrets, l’histoire du Roi Fou n’est plus qu’un mythe que l’on transmet de génération en génération…

Nous sommes en 2020. Il y a de cela sept ans, une jeune sorcière studieuse prénommée Midona fit ses débuts dans la maison Yveltal. Enfant, elle fut bercée de contes, ce qui la poussa à vouer une fascination aux familiers et presque un culte à la magitechnologie. Au cours de sa scolarité à Kalos, elle l’étudia quotidiennement dans le plus grand des secrets avec son fidèle compagnon afin d’en maîtriser toutes les subtilités, mais cela était loin d’être facile. Midona passa le plus clair de son temps enfermée dans la bibliothèque contenant des rangées de livres à perte de vue, à la recherche des rares ouvrages sur le sujet. C’est que la prometteuse apprentie avait un rêve : elle voulait faire une découverte majeure pour être autant connue que les plus grands savants et elle souhaitait être plus forte encore que les membres du Conseil des Sorciers. Oui… Au fond d’elle, tout ce que cette enfant solitaire souhaitait, c’était qu’on la reconnaisse à sa juste valeur. C’est pourquoi elle s’entraînait à l’abri des regards indiscrets dès qu’elle en avait la possibilité.

Après trois années de travail acharné, elle parvint à insuffler la vie aux objets à l’aide de ses facultés interdites. Quelques mois plus tard, elle comprit comment transférer son énergie magique aux familiers afin de faire croître leurs capacités. Mais alors, ne serait-il donc pas possible d’utiliser le processus inverse ? Et si on prenait l’énergie magique d’un familier dans le but de l’intégrer à un objet pour l’améliorer ? Ça, ce serait révolutionnaire ! C’était décidé, ce serait son nouvel objectif. Les semaines passèrent et son projet se précisa de plus en plus. Midona voulait trouver un moyen de répertorier les familiers qu’elle aime tant en un seul et même endroit. Il faut dire que les grimoires c’est bien joli, mais ce n’est pas pratique du tout !

Hélas, ses expérimentations tournèrent mal lors de sa cinquième année à Kalos. Après avoir essuyé de nombreux échecs, elle arriva à faire fusionner un Motisma avec son appareil, le Familiardex. Pour autant, les choses ne se passèrent pas comme elle l’avait prévu, car le familier électrifié perdit tout contrôle. Alors qu’il s’apprêtait à la blesser avec une attaque Fatale Foudre, son familier s’interposa et prit la décharge de plein fouet.

Tel le roi déchu, la jeune sorcière perdit son précieux allié. Les larmes lui montèrent tout juste aux yeux qu’un autre cumulonimbus commença à se former au dessus de sa tête. Elle eut tout juste le temps de projeter son énergie magique en direction d’un bouclier rond et doré non loin d’elle dans lequel était planté une épée aux reflets blancs et violets afin de parer le choc. La tristesse et la douleur pleuvaient à présent sur ses joues, accompagnées d’un cri effroyable. Midona tendit sa main devant elle et fit pivoter l’objet possédé par ses pouvoirs en direction du Motisma. Sans plus attendre, elle l’envoya avec une vitesse folle sur l’ectoplasme électrique qui se fit transpercer violemment par la lame, avant de s’évanouir dans l’air. Quelques secondes plus tard, l’averse de ses yeux laissa place à un liquide rouge, puis la jeune fille s’évanouit à son tour.

Plusieurs mois après ces événements, Midona fit une découverte stupéfiante. Depuis la mort de son familier, chercher un sortilège de résurrection était devenu une obsession. Elle se rendait dans la section réservée aux élèves de sixième et septième années tous les jours. C’est dans un vieil ouvrage poussiéreux qu’elle dénicha ce qu’elle cherchait depuis ce qui lui semblait être une éternité. En parcourant les pages jaunies et rugueuses de ses doigts elle trouva des incantations ainsi que des recettes permettant de reproduire les huit artefacts de la légende que sa défunte mère lui racontait si souvent. Étaient-elles authentiques ? Qu’importe, car elle était persuadée que l’histoire du Roi Fou l’était. Il lui fallait maintenant rassembler tous les ingrédients et concocter toutes les préparations pour se rapprocher de son but.

*

Aujourd’hui, Midona entame son dernier cycle d’études à Kalos. C’est la première fois depuis longtemps qu’elle se sent guillerette. Face à son miroir, la magicienne enfile sa robe cintrée sans manche aux couleurs d’ébène et de prune, ainsi que sa cape pourpre. Elle aime particulièrement les deux feuilles noires qui ressortent sur chacune de ses épaules. La jeune mage adore caresser leur douce surface pour se relaxer. Elle démêle les nœuds de ses cheveux bordeaux ondulés qu’elle tient de son père, puis elle les coiffe avant d’y déposer délicatement son chapeau de sorcière. Un peu de blush rosé sur le blanc porcelaine de ses joues, un coup de mascara et d’eyeliner noirs pour faire ressortir ses yeux dorés et une légère touche de rouge à lèvre… Voilà qui est bien mieux ! Sa baguette dans son fourreau ainsi que son grimoire et son chaudron en main, elle est fin prête pour la dernière ligne droite avant l’obtention de sa certification. Après avoir lancé un dernier coup d’œil dans la glace pour recentrer le collier de sa mère, Midona sort de sa chambre et ferme la porte à clef derrière elle.

Une fois ses fournitures récupérées, son règlement(1) et son autorisation de sortie signés — son ticket gagnant —, la jeune femme assiste à la dernière cérémonie d’ouverture de son école. En cette septième et ultime année, celle-ci est très spéciale. En effet, Midona va pouvoir se choisir un familier de mage expérimentée de Kalos en  guise de récompense pour son parcours… mais vers qui allait s’orienter sa décision ? Un hérisson du type plante, pratique pour débusquer des créatures et reconnaître des ingrédients dans la nature ? Ou alors une renarde enflammée qui pourra être utile afin de chauffer son chaudron et préparer ses potions ? Après tout, peut-être qu’une grenouille aquatique serait toute désignée pour accompagner une sorcière, non ? L’étudiante ne sait pas quoi faire. Elle décide alors de prendre son temps et d’observer les trois créatures.

Le Marisson semble bien joyeux. Il court dans tous les sens et va voir tous les apprentis pour attirer leur attention en leur souriant gaiement. Midona se dit qu’on ne doit pas s’ennuyer, avec lui. La Feunnec, elle, est plutôt malpolie. Elle repousse ceux qui essayent de la toucher d’un geste de la patte et les regarde avec suspicion. C’est un sacré caractère qu’elle a là, se dit la jeune femme. Quant au Grenousse, il semble craintif, mais aussi à l’affut de tout. Il se tapit dans l’ombre pour échapper aux regards et dérober les amuse-bouches du buffet. Malin, pense la sorcière.

Même si cela l’amuse beaucoup, Midona sait que ce choix est crucial. Très bientôt, elle pourra mettre son plan à exécution en parcourant le royaume, c’est pourquoi il lui faut le familier parfait. Il devra non seulement lui être utile pour l’aider dans sa tâche, mais elle doit également pouvoir établir une connexion forte avec lui si elle veut pouvoir tirer pleinement profit de ses capacités. Si elle a bien appris quelque chose lors de ses recherches, c’est que rien n’est plus puissant que le lien unissant un familier à son maître.

Oui… Cela lui semble évident à présent : son choix est fait ! Elle avance de quelques pas dans la foule et rejoint le partenaire qu’elle s’est choisit. « Bonjour », dit-elle calmement en lui tendant simplement la main et en lui adressant un sourire.

« Tiens ? Quelqu’un qui s’approche sans tenter de me caresser ? Snif, snif. Sa main a une odeur très agréable. Snif. De la cerise ? Snif, snif, snif. Quel délicieux parfum ! » pensa le familier en remuant légèrement la queue, comme s’il n’osait pas assumer d’apprécier ce moment. Attisé dans sa curiosité, il daigna se lever et s’étira pour se sortir de sa torpeur. Lentement, très lentement, il approcha sa tête de la main de la sorcière et glissa l’une de ses oreilles entre ses doigts, avant de lui lancer un regard. Amusée, Midona ne put s’empêcher d’esquisser un sourire et comprit qu’elle pouvait à présent caresser l’animal. Sa fourrure était d’une douceur incroyable et d’une chaleur réconfortante. Il faut dire que les hivers à Kalos sont rudes et que la jeune femme a toujours été frileuse. À bien y réfléchir, choisir ce familier est également une bonne idée, car il lui permettrait très certainement de pouvoir se réchauffer en ces temps rudes.

« C’est ta façon de me dire que tu acceptes de devenir ma partenaire, Feunnec ? » lui demanda-t-elle presque timidement. À cet instant, la chaleur provenant de la renarde sembla se diffuser jusqu’au cœur de Midona. Un sentiment de bien-être l’envahit immédiatement. La mage eut presque l’impression d’entendre sa voix lui dire « Oui » à l’intérieur de sa tête. Etait-ce possible ? Non, bien sûr que non… elle avait très certainement dû l’imaginer.

« Bien ! Procédons à la cérémonie du sang, veux-tu bien ? » demanda Midona qui se voulait rassurante. Elle se rendit sur l’estrade, suivie de l’animal qui paraissait savoir exactement quoi faire et ce qui s’apprêtait à se passer. La jeune femme fut la première à apprivoiser l’une des créatures. Tout autour d’elle, la centaine d’autres apprenties la regardaient bouche bée. Cela lui avait pris moins d’un quart d’heure pour réaliser cet exploit. C’était du jamais vu. « Eh, mais ce ne serait pas elle qui… » fut interrompue la voix d’un garçon.

« Chers étudiants, vous connaissez les règles », annonça une mage aux cheveux blonds cendrés et aux yeux verts. « Je vais accompagner votre camarade dans la salle du rituel. Une fois cette première cérémonie terminée, nous continuerons jusqu’à ce que les 15 familiers restants aient tous été apprivoisés ! » Elle se dirigea alors en direction de Midona et ouvrit la porte qui se situait au milieu du mur derrière l’estrade. « Bien, suis-moi » lui dit-elle solennellement, en ouvrant la marche.

La salle de cérémonie était majestueuse avec ses runes dorées écrites en caractères Zarbi. On s’y sentait petit sous la hauteur de la voûte et à côté des impressionnantes colonnes de marbre. Les lustres lui donnaient des airs d’onde boréale avec ses reflets d’un camaïeu de bleu, de vert et de violet. La lumière paraissait pleuvoir sur toute la pièce arrondie après s’être réfléchie sur les illustrations des vitraux. Ils représentaient les membres du Conseil des Sorciers accompagnés de leurs familiers. La jeune apprentie ne put s’empêcher d’imaginer prendre la place de la grande duchesse de Kalos, Dianthéa, dont la statue imposante trônait fièrement au fond de l’enceinte. Elle qui avait toujours été mise de côté entendait déjà la foule scander son nom avec admiration.

« Eh bien », commença l’enseignante en se raclant la gorge. « Il me semble que tu connais les étapes à suivre ? Vous les avez étudiées l’an dernier » continua-t-elle, l’air de vouloir réveiller sa disciple. Midona sortit de ses rêves. Bien déterminée à les rendre réalité, elle se mit au centre du piédestal, accompagnée de celle qui allait bientôt officiellement devenir son familier. Elle tira sa baguette de son fourreau et utilisa la formule « Cuchilla » pour transformer son extrémité en lame. Elle trancha ensuite la paume de sa main sans sourciller, en prenant le soin de faire couler les gouttes de sang sur le front de l’animal qui ne bougeait pas. Enfin, alors qu’un feu se mit à les entourer, la sorcière traça un cercle magique au sol avant de prononcer l’incantation pour sceller le pacte :

« Que ce sang versé t’unisse à moi
Et que pour l’éternité je sois liée à toi.
Entends mon cœur dans cette incantation,
Car voici venue l’heure de ton invocation.
Esprit du Feu, réveille tes sens,
Entre avec moi dans cet état de transe.
Libère tes chaînes, délivre ton âme,
Adopte ton nouveau nom au cœur de ces flammes :
DARUNIA ! »

Tout à coup, le sceau s’embrasa et un tourbillon brûlant inonda la salle d’une chaleur étouffante. Les flammes semblaient lécher les cheveux de Midona qui dansait presque au milieu de ce torrent infernal. La Feunnec, à présent rebaptisée Darunia, fixait sa maîtresse en attendant sagement. Autour d’elles, les flammes prirent de l’ampleur et s’agitèrent dangereusement.

« Midona, il faut que tu contiennes tes pouvoirs ou tu vas finir par te faire consumer ! » avertit l’enseignante, inquiète.

Au cœur de ce brasier, la jeune sorcière faisait la sourde oreille. En réalité, elle avait déjà pensé à ce moment dans les moindres détails et s’y était préparée depuis des semaines. Confiante, elle était persuadée qu’elle réussirait à apprivoiser un familier la première. Elle savait aussi pertinemment que la Professeure Violette l’accompagnerait dans la salle du rituel pour procéder à la cérémonie du sang, c’est pourquoi elle avait pris le soin d’en verrouiller la porte une fois à l’intérieur. Le moment était arrivé. Elle allait enfin pouvoir mettre la première partie de son plan à exécution sans qu’on ne lui résiste.

Consciente que quelque chose se préparait, Violette invoqua des familiers du type insecte pour contenir les pouvoirs magiques de son élève. Parmi les chenilles, les cocons ou encore les araignées se démarquaient un gerris, un papillon et une guêpe. Elle utilisa le tourniquet de son Arakdo, les battements d’ailes de son Prismillon, et les sécrétions de sa Dardargnan pour atténuer les flammes.

En lévitation dans ce torrent de braises, Midona était intriguée par les mouvements fluides et précis de la créature jaune et noire qu’elle avait précédemment repérée. Elle s’identifiait à la conviction dans ses yeux. Même si la Feunnec était une alliée parfaite, elle ne disposait pas des mêmes facultés physiques que l’insecte dont les dards pourraient s’avérer bien utiles à la préparation des ingrédients pour ses potions. Cet insecte était l’un des derniers éléments nécessaires à la réussite de son stratagème. Ainsi, la jeune femme intéressée projeta un peu de son aura en sa direction. C’est que, depuis sa plus tendre enfance, elle avait la faculté d’attirer les familiers à elle à l’aide de son parfum si particulier. Il n’était donc pas étonnant que Darunia, pourtant pas sociable, n’aie pas su lui résister. Il en était de même pour la Dardargnan qui finit par s’approcher malgré les vagues de flammes. Midona créa une brèche pour permettre à la guêpe, désormais surnommé Fay, de la rejoindre sans danger et agrandir ainsi son équipe.

De son côté, Violette essayait de se défaire du feu qui commençait à se répandre dans toute la salle. Ses insectes tombaient un à un, brûlés par la danse endiablée des flammes. Malheureusement pour elle, les assauts de ses familiers étaient totalement inefficaces. À peine son Arakdo tentait-il d’utiliser son tourniquet que les jets d’eau s’évaporaient. Les battements des puissantes ailes du Prismillon ne faisaient que brasser de l’air et attisaient davantage le tourbillon embrasé. Il n’y avait rien à faire. Elle tenta de s’échapper pour demander de l’aide, mais l’accès était fermé à clef… Elle était totalement acculée. La Professeure se sentit ridicule. Elle aurait pourtant dû être plus prudente. Tout le monde savait que Midona était différente des autres apprenties, mais qui aurait pu prévoir qu’elle perdrait le contrôle ? L’entomologiste la fixait, impuissante.

Elle vit alors la jeune sorcière lancer la formule « Armonía » d’un mouvement de baguette pour entrer en osmose avec sa renarde restée immobile jusque là. Les yeux du familier et de la magicienne devinrent tout blancs et elles ne firent plus qu’un. Le corps de Midona flottait à présent, inerte, à l’épicentre de l’éruption. La Feunnec, possédée, absorba tout à coup l’intégralité des flammes. Elle se mit à briller d’une lueur étrange, puis à se métamorphoser. La quadrupède se dressa alors sur ses pattes arrières. La partie inférieure de sa fourrure jaune se teinta de noir et prit la forme d’une jupe au niveau de ses hanches.

D'un regard ténébreux, Darunia empoigna la brindille qui était à présent plantée sur sa queue et l’alluma d’une simple friction. Elle la plaça devant elle, fit quelques pas vers Violette et ses familiers, puis ouvrit la gueule : le torrent de feu en jaillit instantanément, décuplé par la puissance de sa brindille. Dans un effort désespéré, la mage supérieure forma un losange avec sa baguette tout en hurlant le sort « Armadura » pour utiliser son papillon comme bouclier.

Sous la neige de cendres qui tombait sous la voûte, Midona rompit la transe avec Darunia. Elle s’aperçut que le Prismillon et l’Arakdo avaient survécu in extremis. Les flammes déviées par le sortilège d'armure ricochèrent sur les parois ensorcelées de la pièce et atteignirent Violette, qui rendit son dernier soupir, submergée par cette vague infernale. Tout s’était exactement passé comme Midona l’avait prévu. Elle pouvait à présent récolter les ingrédients dont elle avait besoin pour préparer la recette du premier artefact. Elle jeta un œil au grimoire qu’elle avait volé à la bibliothèque pour être sûre de ne rien manquer et pour s’assurer de suivre toutes les étapes nécessaires à sa réalisation.

Elle posa son chaudron au sol et demanda à Darunia de le chauffer. Quant à Fay, elle l’aida à récupérer les quatre pattes de l’Arakdo ainsi que les deux antennes et les quatre ailes du Prismillon. Une fois la concoction prête, Midona lança l’incantation. Le chaudron dégagea une grande quantité de fumée dans laquelle se matérialisa le premier des huit objets tant convoités. Un sentiment de satisfaction l’envahit à ce moment précis : oui, elle était capable d’y arriver ; elle pouvait maîtriser cette magie interdite !