[X] Brujería

Il était une fois, dans une contrée très lointaine, un paisible royaume situé dans une mer de sable chaud. Elle était réputée dans le monde entier pour son air pur, son agréable soleil, et sa végétation luxuriante. De longs arbres pareils à des palmiers entouraient le pays perlé de fleurs exotiques aux couleurs exquises. Vu du haut, on avait l’impression de regarder la magnifique toile d’un Queulorior pointilliste.

Cet empire était gouverné par un souverain à la grande compassion. Les citoyens lui vouaient un profond respect tant il débordait d’amour pour les familiers, ces étranges créatures aujourd’hui connues sous le nom de Pokémon. Malheureusement, sa majesté était accablée par la mélancolie, car il cachait un terrible secret au plus profond de son cœur de ténèbres. En effet, le précieux compagnon qui l’accompagnait depuis sa plus tendre enfance rendit son dernier souffle il y a trois étés de cela, ce qui le plongea dans une inconsolable tristesse.

La culpabilité qu’il ressentait était si dévorante que le roi finit par tomber malade. Des guérisseurs de renom vinrent à son chevet afin de soulager sa peine, mais ils furent choqués lorsque leur bien-aimé roi leur soumit une requête des plus terrifiantes pour sa guérison : recourir à la magie noire. L’idée de devoir ressusciter son familier les effraya et ils l’abandonnèrent, le laissant seul face à son désespoir.

Déterminé à exaucer sa dernière volonté, le roi se mit alors en route pour Kalos, une école de sorcellerie dans laquelle les apprentis sont répartis dans trois illustres maisons à l’effigie des légendaires : Xerneas, l’essence de l’Existence. Yveltal, l’incarnation de l’Annihilation. Zygarde, le gardien de l’Equilibre.

Là-bas, il fit la rencontre d’un savant en magitechnologie. Il était vêtu d’une vaste cape noire dotée d’une grande capuche qui couvrait tout son être. Celui-ci accepta d’utiliser une machine ensorcelée capable de ramener les défunts à la vie. Néanmoins, une telle magie était interdite puisqu’elle nécessitait une incommensurable énergie que seul la présence de nombreux familiers pouvait catalyser. En conséquence, l’homme mystérieux demanda au seigneur une compensation à la hauteur de ce qu’il s’apprêtait à accomplir : sa couronne.

Aveuglé par sa quête, le roi accepta de signer les termes du contrat malgré tout. Il ne s’en doutait pas alors, mais il venait de vendre son âme au diable. Bientôt, le royaume fut frappé par de nombreuses disparitions. Le monarque reclus attira les suspicions des citoyens inquiets malgré sa promesse de tout mettre en œuvre pour résoudre cette énigme. Pourtant, il savait pertinemment que c’étaient les hommes de son complice qui étaient à l’origine de ces enlèvements.

Des mois plus tard, quand le rituel fut fin prêt, il couronna son successeur et ne put s’empêcher de verser des larmes de joie à l’idée de retrouver son compagnon. La cérémonie magique se déroulait dans le désert isolé où les pires criminels étaient envoyés, sans rien à boire, pour purger leur peine. Malheureusement, au moment fatidique de la résurrection, l’horreur le frappa. Les familiers, placés en arc de cercle sur les rochers, se mirent à hurler de douleur. Un à un, ils se vidèrent de leur énergie et se mirent à exploser, versant des gouttes de sang telle une pluie battante sur le sable qui se teinta d’un rouge épais. L’odeur de fer monta au nez du roi déchu et il fut abasourdi par le bruit strident des détonations. Devant un tel spectacle, il ne put s’empêcher de vomir, de crier et de pleurer. Au milieu des cadavres de toutes ces bêtes qu’il aimait tant et qu’il avait vu grandir aux côtés de chacun des habitants de son royaume, l’Arme Suprême brillait de mille feux dans une lueur blanche immaculée. Devant elle, le sage se tenait droit, caché sous sa cape devenue écarlate.

Après le vacarme, le silence s’installa et régna sur toute l’immensité de l’étendue de sable. Quelle ne fut pas alors la surprise de l’ancien monarque lorsqu’il s’aperçut que ce n’était pas son familier qui fut ressuscité. Il vit seulement le sorcier faire virevolter sa cape dans un mouvement gracieux. Le calme fut vite rompu par une voix glaciale soufflant un sort : « Desaparición ». Puis, tout fut plongé dans l’obscurité la plus totale. Après seulement quelques secondes qui lui semblèrent être des heures, la lumière émise par une Ball violette, rose et blanche à la main de l’assassin l’aveugla. Puis, c’est comme si le soleil se leva à nouveau. Le nouveau roi soumit l’autre créature à sa volonté. Tout autour de lui, il ne restait plus rien. Plus la moindre trace des familiers ou de leur sang. Plus d’Arme Suprême. Rien. L’instant d’après, c’est le magicien lui même qui s’évapora.

Quelques jours plus tard, le vieil homme parvint à revenir au château dans un piteux état. Ses vêtements étaient sales et déchirés. Ses yeux clairs étaient entourés de cernes violacés. Sa barbe avait poussé et ses cheveux étaient ébouriffés. Il dégageait une odeur si nauséabonde que les gardes ne purent s’empêcher de couvrir leurs narines. Ils lui refusèrent même l’accès. C’est que, à présent, un autre gouvernait le pays et sa signature sur le contrat en était la preuve irréfutable. De toute façon, cela faisait un moment déjà que le peuple souhaitait le voir destitué tant sa folie leur semblait dangereuse.

Mais comment pouvaient-ils accepter un si sombre chef ? Ne savaient-ils pas de quoi il était capable ? L’homme affaibli poussa du mieux qu’il le put les gardes qui n’osèrent pas mettre les mains sur lui. Furieux, il entra dans la salle du trône dont les portes se fermèrent derrière lui. Il attrapa de ses mains crispées et ridées la longue cape du sorcier qui lui tournait le dos avec le peu de force qui lui restait. Il lui hurla de lui rendre son dû. Le mage tira fermement sur sa tenue, ce qui fit tomber le vieil homme à genoux devant lui. Le mystérieux sage se rapprocha alors de lui. Il le regarda de haut. C’était la première fois que l’ancien roi voyait son successeur d’aussi près. Il avait de longs cheveux blancs et des yeux si noirs qu’ils semblaient regarder au cœur même des ténèbres. L’érudit lui dit intimement, d’une voix malicieuse :

« Vous voici enfin à la place qui vous est due… Cherchez bien, vous trouverez sûrement Trépassable dans toute cette poussière ! »

À ce moment précis, toute humanité quitta le vieillard dont le visage fut défiguré par la folie provoquée par les événements passés et par la déshydratation. Dans une ultime tentative de se rendre justice, il tenta d’empoigner le nouveau monarque au cou, mais une ombre furtive, pareille à un spectre, apparut devant lui. La créature de près de trois mètres se matérialisa dans une lumière jaunâtre et l’arrêta net à l’aide de l’une de ses grandes mains de roche et d’argile.  

« Tu as tué tous nos compagnons ! Comment es-tu parvenu à tous les duper ainsi ? Notre contrée toute entière va disparaître à cause de tes actes ! Pourquoi est-ce que personne ne me croit ? Je ne suis pourtant pas fou ! JE. NE. SUIS. PAS. FOU ! »

Ces mots résonnèrent dans toute la salle, qui lui répondit « Fou ! » en écho à plusieurs reprises. Le vieil homme regarda tout autour de lui, comme pour voir d’où venaient ces voix. « Taisez-vous ! Silence ! » leur répondit-il avant de tousser bruyamment.

« Là, là… Tout va bien ! Ne vous inquiétez pas. Dans ma grande clémence, je vais mettre fin à votre souffrance. Bientôt, vous pourrez même retourner jouer avec votre château de sable. Maintenant, si vous pouviez disparaître, car j’ai un véritable royaume à gouverner ! » Sur ces paroles, deux autres spectres se matérialisèrent devant le vieil homme. Ces familiers d’acier se mirent sous sa gorge en formant une croix, comme prêts à lui couper la tête au moindre geste de leur maître. « Gardes ! » cria le sorcier, avant que ses soldats n’entrent dans la salle. « Emmenez ce vieux fou ! » leur ordonna-t-il. Ils obéirent, malgré un pincement au cœur.

Le roi déchu, ainsi piégé, fut alors jugé par le Conseil des Sorciers — un ordre composé des cinq plus redoutables mages de Kalos — et condamné à mort pour recours à la magie noire. La dernière image qu’il eut en tête avant de rendre son dernier soupir fut le sourire discret et narquois de son bourreau. Quant à l’Arme Suprême, nul ne sait où elle se trouve. D’après la légende, elle aurait été scellée par de puissants sortilèges dans les profondeurs du château. On raconte également que seuls huit artefacts magiques exposés à l’énergie de l’une des créatures sacrées ont le pouvoir de la réactiver. Cependant, la magitechnologie étant désormais un art oublié et les sorciers la maîtrisant étant rares et discrets, l’histoire du Roi Fou n’est plus qu’un mythe que l’on transmet de génération en génération…

La fatigue commençait à se ressentir. C’était la première fois que Midona entrait en osmose avec un familier aussi longtemps et elle ne pensait pas que cela lui demanderait une telle quantité d’énergie. Le problème, c’était qu’elle devait à présent s’échapper. Aurait-elle les ressources nécessaires pour avoir cette fois-ci recours à la magitechnologie ? Il fallait qu’elle se concentre, sans quoi tout cela aurait été vain. La jeune femme savait qu’elle s’apprêtait à prendre un énorme risque. Au moment où elle franchirait la porte, ses camarades et la sœur de la Professeure Violette verraient l’état de la salle de cérémonie. Malgré les enchantements qui l’insonorisent et protègent ses murs, des traces de brûlures étaient présentes un peu partout dans la pièce dont l’odeur était devenue fort nauséabonde. Les cendres des victimes calcinées recouvraient le sol et les cheveux bordeaux de Midona étaient à présent tachetés de gris. Elle était sale et elle ne le supportait pas.
 
Néanmoins, il y avait pire encore. En effet, une fois l’entrée dégagée, tout le monde comprendrait qu’elle utilisait une magie interdite. La sorcière savait pertinemment tout ce que cela impliquerait. Elle savait notamment qu’elle serait traquée sans relâche, mais refusait de se laisser faire ou de se laisser aller à la peur. Elle ferma les yeux pour se calmer, puis prit lentement une grande inspiration en croisant les mains sur sa poitrine. Lorsque ses paupières se rouvrirent, elle fixa le fond de la salle. Il était temps de tenter le tout pour le tout. Midona dégaina sa baguette de son fourreau et la fit bouger de gauche à droite et de haut en bas dans un mouvement de croix. « Proyección ! », conjura-t-elle en tendant son bras gauche vers l’objet qu’elle regardait.

Très fatiguée, l’apprentie se mit à trembler. Cette dernière formule lui demanda tant d’efforts qu’un filet de sang coula de ses yeux. Elle ne pouvait pas s’arrêter maintenant. Pour être exact, elle ne devait pas s’arrêter maintenant. Elle y était presque. Encore un petit instant et elle y serait… Oui ! C’était bon : elle avait réussi à utiliser son sort de magitechnologie. En conséquence, le sol se mit à trembler à son tour et fit tomber Midona. Ses jambes flanchaient. Elle était incapable de rester debout. Les secousses étaient de plus en plus fortes et rapprochées. La créature prenait de la vitesse et s’approchait rapidement des trois comparses. La mage était fière d’elle. Elle devait toujours se concentrer pour ne pas rompre le lien, mais elle arrivait encore à utiliser ses pouvoirs. Quelques secondes plus tard, le fruit de son dur labeur se présenta à elle.

C’était la statue de Dianthéa. Midona avait réussit à lui insuffler la vie en lui transmettant un peu de son énergie vitale. Elle savait que cela était dangereux, mais il n’y avait aucune autre alternative. La grande duchesse de pierre posa alors sa main au sol. Darunia aida sa maîtresse à monter dessus. Le titan les amena alors jusqu’à son dos.

« Fay, attache moi fermement à Dianthéa avec tes sécrétions, s’il te plaît » demanda-t-elle à sa guêpe, qui s’exécuta immédiatement. La renarde, quant à elle, s’agrippa à l’une des épaules de la version non-humaine de celle qui était à la tête du Conseil des Sorciers. Ils étaient fins prêts à quitter Kalos. Ni une ni deux, la sculpture mit un coup de poing dans la porte et la détruisit en mille morceaux. Les autres étudiants ne purent s’empêcher de pousser des cris de surprise. Midona devait absolument profiter de ce moment pour frapper vite et fort.

«  Fay, utilise Dard-Venin pour dégager le passage ! Darunia, lance Nitrocharge contre la Professeure Alexia afin de la mettre hors d’état de nuire » ordonna la sorcière. Les élèves, étonnés de voir que la Feunnec avait déjà évolué en Roussil et choqués par l’horrible scène derrière elle n’eurent pas le temps de réagir. Seuls les deux ayant réussi à apprivoiser un animal tentèrent d’arrêter Midona. Le premier tenta de faire glisser la statue à l’aide du Pistolet à Eau d’un Grenousse tandis que la seconde essaya de la faire tomber avec les Fouets Lianes d’un Marisson. Hélas, les bestioles ne leur obéirent pas. Midona parut amusée par la situation. « Qu’ils sont bêtes », pensa-t-elle « Tout le monde sait que sans passer par la cérémonie du sang, il est impossible de se battre aux côtés des familiers offerts par l’école ! »

Pendant que la Dardargnan paralysait les étudiants avec son poison, la Feunnec fonçait à toute allure en direction de la sœur de Violette pour s’assurer qu’elle ne gênerait pas sa maîtresse. Cependant, c’était sans compter sur l’expérience de l’enseignante qui renvoya le familier jusqu’à sa propriétaire à l’aide d’un sortilège de vent. Alors que Midona s’apprêtait à quitter les lieux, Alexia utilisa sa créature la plus puissante, un Bruyverne, pour s’interposer. Le dragon et la géante de pierre se firent face, paumes contre paumes. Il était impératif de le terrasser, sinon les renforts arriveraient et tout tomberait à l’eau !

« Fay, tu dois absolument empoisonner le Bruyverne, je compte sur toi ! » indiqua la jeune sorcière. La guêpe multiplia les attaques contre le dragon qui repoussait les assauts en battant nonchalamment des ailes. La situation était critique. Cette fois-ci, c’était Midona qui se sentait acculée. Comment allait-elle faire pour se sortir de là ?

Midona avait beau retourner le problème dans tous les sens, elle ne voyait qu’une solution pour se sortir de là. « Détruis les mains de Dianthéa avec Furie, je m’occupe du reste » chuchota-t-elle à Fay, qui s’empressa d’obéir. La statue fut amputée, ce qui déstabilisa Alexia et son Bruyverne. Midona en profita pour diriger un coup de pied en direction du dragon à l’aide de la sculpture possédée. Le bête mythique fut projetée droit vers sa dresseuse et ils perdirent tous deux connaissance.

« Darunia, accroche toi à l’une des jambes et utilise Nitrocharge, maintenant ! » ordonna-t-elle. La renarde regarda sa maîtresse d’un air inquiet. Elle comprit immédiatement ce que Midona souhaitait faire, mais dans l’urgence de la situation, elle suivit les instructions et s’embrasa. La jeune sorcière parvint à propager les flammes au monument de pierre, et bientôt c'est le titan tout entier qui prit feu. Les propriétés de la capacité de Darunia furent transmises à la grande duchesse qui gagna progressivement en vitesse. C’est ainsi que l’équipe parvint à s’échapper de Kalos. À présent, il serait impossible de faire marche arrière.

Néanmoins, tout cela ne se fit pas sans conséquence. À quelques kilomètres de là, non loin de la Forêt des Fantômes de la région d’Orbtus, Midona perdit connaissance à son tour et Dianthéa s’écroula avec elle. Ses familiers restèrent à son chevet pour s’assurer qu’elle allait bien, mais elle respirait bien trop rapidement. Elle transpirait à cause de la fièvre provoquée par la trop grande quantité d’énergie magique qu’elle avait utilisé et était plus pâle que d’habitude, si cela était même imaginable.

La Roussil était terriblement inquiète. C’était la première fois qu’elle se sentait aussi proche d’un être humain. Il y avait quelque chose de presque mystique chez sa maîtresse. Quelque chose qui résonnait en elle comme une évidence ; quelque chose qui l’attirait et qui l’apaisait. Elle ne pouvait pas rester là les bras croisés. Il fallait qu’elle trouve de l’aide.

La renarde confia Midona à Fay. Bien que les deux créatures ne se connaissaient que depuis peu, leur entraide lors de la fuite de l’école avait créé un lien fort entre elles. Elles se respectaient mutuellement et Darunia lui faisait confiance. Les familiers ressentaient ces choses-là. C’était comme un sixième sens. Il fallait à présent que la principale coéquipière de la magicienne s’en serve pour attirer de nouveaux compagnons. Elle devait impérativement trouver de quoi préparer un remède. Pour cela, il lui fallait dénicher des utilisateurs des types plante, poison, et sol.

La Forêt des Fantômes était un merveilleux labyrinthe d’arbres feuillus et fruitiers. Des séquoias géants en protégeaient l’entrée et il n’était possible d’y accéder qu’en traversant un pont situé au dessus d’un courant d’eau bleu-vert. Des champignons féériques luisants poussaient un peu partout au pied des châtaigners ou encore des épicéas. La légende dit qu’elles guidaient les âmes esseulées qui y avaient élu domicile en construisant des cabanes sur les branches non loin des cimes. Cela permettait aux animaux de grimper rapidement sur le point culminant afin de repérer les ressources nécessaires à leur survie ou d’éviter les menaces à leur extinction.

L’odeur qui flottait dans l’air semblait étrangement familière à Darunia. Son cœur, qui jusqu’alors battait la chamade, se calma. Elle s’enfonça plus sereinement au cœur des bois en prenant le soin de laisser des marques avec sa brindille pour ne pas se perdre. Quelques minutes plus tard, elle se retrouva face à un chêne majestueux. C’était le seul qu’elle avait vu jusque là. Il s’agissait en fait de Sylvion, l’arbre-vie source du mana : l’énergie magique qui alimente le monde. Il était vénéré par le peuple de la forêt, des sorciers spécialisés utilisant des familiers du type plante réputés pour chasser quiconque s’en approchait.

Alors que Darunia avançait en guettant les alentours, quelque chose l’attira inéluctablement vers Sylvion. C’était impossible d’y résister. Elle baissa sa garde comme enivrée par ce doux parfum qu’elle connaissait déjà. Soudain, elle aperçut une ombre, puis plusieurs autres. Elle se rendit compte qu’elle était entourée par un troupeau de Bulbizarres. Elle fut prise d’assaut par des vagues de feuilles aiguisées, mais elle se concentra et les renvoya toutes en employant un sort de rafale psychique. Les quadrupèdes ne se laissèrent cependant pas faire et firent pleuvoir une centaine de graines enchantées capables de drainer la vie. Darunia frotta sa brindille à sa queue et l’embrasa. Elle se mit à tournoyer autour d’elle-même prudemment et, en une danse flamboyante, brûla cette deuxième vague végétale.

Les gardiens de Sylvion étaient en position de faiblesse. Ils ne pouvaient rien face à un familier de feu, d’autant que leurs maîtres étaient partis en expédition. Pourtant, ils furent étonnés de voir que la renarde prit le soin de ne rien brûler de plus. Elle les regarda, puis posa sa brindille en gage de paix avant de leur expliquer la raison de sa présence ici. Quelques minutes plus tard, une Mascaïman surgit de la terre et se positionna face à Darunia, la patte sur son arme. Elle fut suivie d’une Herbizarre accompagnée de diverses bêtes, dont une Nosféralto qui pu rapporter toute la conversation à ses compagnons de patrouille grâce à sa perception des ondes sonores.

Quelle chance inouïe, pensa la renarde. Les trois types de magie dont elle avait besoin étaient réunis en un seul et même endroit. Seulement, les mages ne devaient pas être loin et il n’était pas envisageable d’entrer en contact avec eux. Qu’aurait-fait Midona ? Probablement quelque chose d’insensé et de dangereux, ce qui était à l’opposé du caractère posé et réfléchi de Darunia. Néanmoins, elle n’avait guère le choix. Elle récupéra sa brindille en lançant une autre rafale psychique, la frotta à nouveau à sa queue, et promit d’incendier la Forêt des Fantômes si le trio refusait de rejoindre ses rangs.

La tentative folle de Darunia porta ses fruits : Herbizarre, Nosféralto ainsi que Mascaïman acceptèrent de se ranger de son côté pour éviter que la Forêt des Fantômes et Sylvion ne brûlent. Cependant, il était déjà trop tard. Les habitants de la forêt, les Sylvans, étaient de retour. Leur capitaine, qui avait pris de l’avance, aperçut la renarde au loin. La passivité des Bulbizarres le surprit et l’énerva. Il lança son Ludicolo à l’assaut pour intercepter l’intrus. De l’herbe jaillit du sol, mais Herbizarre la trancha à contre cœur en ripostant avec un autre sort végétal. Il était impératif que les nouveaux coéquipiers travaillent ensemble s’ils souhaitaient s’enfuir. La survie de Sylvion en dépendait aussi.

Bien que le caractère de Darunia différait à bien des égards de celui de sa maîtresse, elles avaient toutefois un point commun : l’intelligence. Cela ne pris que quelques minutes à la Roussil pour évaluer la situation et les capacités des bêtes autour d’elle. En concentrant son énergie psychique, elle communiqua son plan à ses compagnons, qui le mirent immédiatement en application. Il fallait faire vite : Mascaïman immobilisa son ancien compagnon dans un tourbillon de sable. Puis, Nosféralto en profita pour le distraire grâce à ses cruelles attaques aériennes. Enfin, Herbizarre lui causa un choc venimeux si intense que la créature s’écroula. La collaboration était une réussite, mais elle laissa un goût terriblement amer au trio, contraint d’obéir face à la menace de Darunia.

Le quatuor entama alors sa fuite, mais le chef des Sylvans ne s’avoua pas vaincu. Il appela cette fois-ci son Florizarre, à qui il ordonna d’attraper la fugitive à l’aide de ses puissants fouets de lianes. Darunia parvint à changer sa trajectoire pour tenter d’éviter le coup, mais elle fut violemment frappée au bras droit et fit tomber son arme. Aller la récupérer ou montrer un signe de faiblesse était inconcevable. Déguerpir était la priorité absolue, sans quoi l’état de Midona empirerait. De toute façon, les autres habitants ne tarderaient pas à arriver et à quatre contre Arceus sait combien, il serait impossible de survivre.

« Maudites bêtes ! » hurla le doyen de la forêt qui se tenait derrière son Florizarre. Sa colère se transforma en rage devant la trahison des trois familiers. « Puisqu’il en est ainsi, vous ne me laissez pas le choix ! » continua-t-il. Il positionna sa canne à l’horizontal et passa la paume de sa main gauche sur toute sa longueur, depuis sa base jusqu’à son extrémité. Ensuite, il la pointa droit vers le soleil et tendit sa main gauche vers le batracien en faisant un mouvement circulaire, tout en écartant les doigts.

Le ciel sembla se dégager, comme si les nuages obéissaient aux mouvements de l’homme. Il murmura alors une incantation et cria le nom du sort qu’il canalisait — « Rayo Solar ! » —, avant d’abattre sa canne au dessus de son partenaire. L’astre de feu se mit à briller et la fleur sur le dos du quadrupède l’imita. Un petit bourgeon de lumière grandissait progressivement sur le dos de l’animal. Plus loin, les quatre évadés comprirent qu’un danger sans précédent les guettait.

Alors que Darunia courait aussi rapidement qu’elle le put, elle s’arrêta si subitement qu’une trainée de terre sèche se dispersa dans son dos. Ses camarades avaient pour consigne de continuer sans elle. Si quelque chose devait lui arriver, ce serait à eux de suivre la recette qu’elle leur avait transmise mentalement pour sauver Midona. La disciple de la sorcière ferma les yeux et joignit ses pattes avants. Une aura magenta commença à l’entourer. Elle devait concentrer le restant de ses pouvoirs psychiques dans ce sort de défense. Au mieux, ils seraient tous sauvés, au pire, elle y laisserait la peau, pensa-t-elle. Qu’est-ce que ce sacrifice face à la survie de sa maîtresse ?

L’orbe orangé, fruit de l’union entre le Soleil et le Florizarre, était prêt. Le gardien de la forêt ordonna à son familier de lancer son puissant sort et de tuer ceux qui avaient osé profaner ce lieu sacré. Le rayon dévastateur fila droit sur Darunia en creusant le sol sur sa trajectoire. Avant qu’il ne soit trop tard, la Roussil posa ses pattes au sol et un mur lumineux en surgit. Les deux magies entrèrent en collision. À ce moment fatidique, la renarde pensa à Midona. Elle qui avait toujours eu peur des humains, car elle avait maintes et maintes fois été maltraitée, était heureuse d’avoir été choisie pour ses capacités et d’avoir été, pour la première fois, traitée d’égal à égal. Elle s’était sentie protégée dans ses flammes. Elle avait l’impression d’avoir enfin trouvé sa place. Cela ne faisait pourtant pas longtemps qu’elle voyageait à ses côtés, mais elle se sentait unie à cet être d’exception.

Alors que les souvenirs submergeaient Darunia, l’émotion la gagna également. L’aura qui l’entourait s’amenuisait tout doucement : son sortilège de défense commençait à se fissurer et, d’ici quelques secondes, il partirait en éclats. Les larmes coulaient désormais le long de ses joues. Elle savait que c’était la fin. À l’intérieur d’elle-même, un hurlement de douleur la déchirait profondément :

Darunia tomba. Sa magie avait été neutralisée. Elle voyait la lumière, si douce et si rayonnante. C’était comme prendre un bain de soleil. Cette chaleur était si réconfortante que sa mort ne lui parut pas douloureuse. Néanmoins, elle s’attendait à ce que l’au-delà soit plus calme. Pourquoi sentait-elle des secousses ? N’y avait-il donc pas de gravité, là-haut ? Son âme devait probablement encore être liée à son corps et sentir les impacts qu’il subissait. Mais alors, que faisait Mascaïman avec elle ? Elle avait donc également échoué à protéger ses nouveaux alliés… Quelle déception ! À quel point s’était-elle fourvoyée sur ses pouvoirs magiques ?

Soudain, une voix lui demanda de se réveiller. La renarde était tant dépitée qu’elle ne lui prêta pas attention. Elle s’en voulait terriblement. À cause d’elle, Midona allait probablement mourir, elle aussi. Cette pensée était si douloureuse que Darunia eut l’impression de suffoquer sous la terre. Elle toussa à plein poumon. De la terre ? Comment était-ce possible ? De nouvelles secousses se firent sentir et la voix, plus forte, la somma de se sortir de sa torpeur. Elle ouvrit enfin les yeux. C’était encore Mascaïman.

Il était temps, pensa l’animal qui, n’ayant pas su se résigner à abandonner la Roussil, décida de faire demi-tour avec Nosféralto. Herbizarre continuait son chemin pour qu’au moins l’un d’entre eux vienne en aide à Midona. La crocodile expliqua à la renarde que l’attaque du Florizarre avait bien détruit son mur lumineux, mais qu’elle la sauva in extremis en piétinant le sol pour qu’il s’affaisse. Le trio était touché par la force du lien qui unissait Darunia à sa maîtresse, d’autant qu’elle était prête à se sacrifier pour que des inconnus puisse la sauver. Cette conviction et cette fidélité donnèrent aux trois amis envie de faire partie intégrante de cette équipe si soudée. Il n’y avait toutefois pas de temps à perdre. Tant que le batracien récupérait de sa puissante décharge solaire, ils avaient encore une chance de fuir et il fallait la saisir. Nosféralto attrapa Darunia qui n’était plus capable de bouger et s’envola avec elle. Mascaïman emprunta les tunnels qu’elle avait creusés pour échapper à l’ennemi. Ils étaient enfin hors d’état de nuire. Il fallait à présent se dépêcher, car l’état de la jeune mage devait être critique.

À leur retour, Fay les accueillit avec reconnaissance. Les détails attendraient, car Darunia devait à présenter préparer le remède. Elle trouva une autre brindille pour remplacer celle qu’elle avait fait tomber dans la Forêt des Fantômes et s’en servit pour allumer un feu. Elle y déposa le chaudron de sa maîtresse qu’elle avait préalablement rempli d’un peu d’eau. Elle demande à ses nouveaux compagnons de l’aider.

En effet, sa recette nécessitait du venin. Celui d’Herbizarre n’aurait pas été assez agressif, car son affinité principale était végétale, c’est pourquoi elle pria Nosféralto de lui en donner un peu. Le poison servirait à tuer les bactéries, mais prendrait la place de la fièvre. Afin de le neutraliser, il lui fallait les graines vampiriques de la quadrupède verte, dont les propriétés curatives surpuissantes permettraient de drainer l’énergie vitale. Pour finir, elle avait besoin du sable de Mascaïman, cela dans le but de nettoyer le sang de Midona des éventuels résidus nocifs qui auraient su subsister. Darunia écrasa les graines en attendant que l’eau et le sable entrent en ébullition. Elle les incorpora à sa concoction et touilla vivement avec sa brindille avant d’y verser quelques gouttes de poison. À l’aide d’une feuille, elle donna de petites gorgées à sa maîtresse haletante. La pauvre était trempée et toute rouge.

Les minutes passaient lentement. Les familiers étaient épuisés, tant par leurs efforts que par la peur d’être pris d’assaut. Dans un tel contexte, fermer les yeux était inconcevable. Et puis, qui sait quand Midona ouvrirait les yeux ? Néanmoins, les minutes se changèrent en heures et ils ne surent pas résister à la fatigue. Ils s’écroulèrent un à un. Même Darunia, qui luttait pourtant du mieux qu’elle le pouvait, finit par céder au marchand de sable.

Lorsque la sorcière ouvrit les yeux, la première chose qu’elle aperçut fut une Absol qui la fixait. Etait-elle en danger ? L’animal se tenait à quelques centimètres, mais ne dégageait aucune agressivité. À la vue de son petit museau qui bougeait en émettant un léger bruit, on aurait dit qu’elle était curieuse. Cela lui rappelait étrangement sa rencontre avec Darunia. La bête s’assit sans quitter la magicienne du regard. Puis, elle se mit subitement à grogner. Midona ne put s’empêcher de laisser s’échapper un cri de stupeur. L’instant d’après, le félin disparut comme si c’était un mirage. Un peu plus loin, en direction de la forêt, un impact bruyant retentit. Il réveilla les partenaires de la jeune femme et l’animal réapparut. La mage comprit ce qui venait de se passer.

« Ce n’est pas moi que tu regardais, n’est-ce pas ? » lui demanda-t-elle, avant d’affirmer : « Tu scrutais la cachette d’un ennemi. » L’Absol acquiesça modestement d’un signe de la tête. Midona la remercia et tenta de la caresser. D’ordinaire, ces familiers fuyaient les Hommes, mais celle-ci se laissa faire sans bouger, en gardant fière allure. « Tu veux rester avec nous ? » la convia-t-elle en regardant les nouveaux membres de son équipe ainsi que Darunia et Fay. L’hakutaku lui répondit par un hochement positif. « Très bien ! » s’exclama la sorcière, ravie. « Tu es des nôtres désormais, Epona ! Et vous aussi, Saria, Zelda et Impa ! » dit-elle en souriant respectivement à Herbizarre, Nosféralto et Mascaïman.

Après s’être reposée et sustentée de fruits trouvés dans les sitrussiers aux alentours avec ses familiers, Midona concocta quelques potions en se servant des baies médicinales qu’elle put récolter dans les arbres à proximités. En regardant en arrière, elle vit un nuage de fumée. Il valait peut-être mieux accélérer la cadence.

*

Pour les humains ordinaires, ce n’était qu’une légende, mais dans le monde de la magie, tout le monde savait que voir un Absol était signe d’un mauvais présage et Midona n’était pas sereine. La catastrophe était-elle passée ou allait-elle frapper ?