Il était une fois...

– Il était une fois, un jeune Dresseur de Pokémon pleins d'espoirs. Accompagné de Ridley, son jeune Salamèche, ce jeune Dresseur, ne rêvait que d'une seule chose : vivre de sa passion pour les Pokémon. La vie n'a pas été tendre avec lui. Ridley est mort trop tôt. Sa mère est morte trop tôt. Les responsabilités lui sont tombées dessus trop tôt. Mais il n'a jamais renoncé. Ce Dresseur est parvenu à un poste prestigieux, celui de Champion d'Arène. Aujourd'hui, son nom – celui de mon client – Giovanni Corleone, est traîné dans la boue !

    Le jeune avocat marqua un temps de silence théâtral. Tant pour que ses dernières phrases marquent les esprits que pour reprendre son souffle. La plupart des gens auraient bafouillé, baissé la tête en tremblant légèrement ou seraient restés cois dans une telle situation, face à un tel public. Mais pas lui. Il ne pouvait pas se le permettre. Pas sur une affaire aussi grosse. Pas pour un client aussi important. La suite de sa carrière dépendait trop de sa prestation.

    Il était au centre de la pièce. Il pouvait presque sentir les regards posés sur lui. Il était l'objet de toute l'attention du public. Le jury était presque suspendu à ses lèvres. Il balaya le tribunal d'un regard. La salle était bondée. Que ce soit le public ou les journalistes, dont Inès et Guy de Hoenn News qui avaient médiatisé cette affaire, ils étaient là tels des charognards attendant que leur proie soit trop affaiblie pour se défendre. À la gauche de l'avocat, à à peine quelques mètres, « leur proie » était assise.

    Giovanni Corleone, sur le banc des accusés, ne trahissait cependant d'aucun signe d'une quelconque faiblesse. Son costume sur-mesure était impeccable. Il n'avait presque pas bougé depuis le début de l'audience. Seul son regard, froid et imperturbable, vagabondait au gré des plaidoyers et des réquisitoires. Son visage, tel un joueur professionnel de poker, ne trahissait jamais aucune émotion. S'il était calme, il n'était cependant pas entièrement serein. Nul ne pourrait l'être dans une telle situation.

    L'avocat tourna ensuite la tête à droite. L'avocat des parties civiles avait visiblement abattu ses dernières cartes. Il était assez âgé et avait de l'expérience. Elles étaient bonnes, très bonnes. Mais il allait les saper une par une. La manche finale se jouait maintenant.
Il se détourna vers les jurés tout en tournant la tête vers le juge. Ce sont eux qu'il fallait convaincre. Et c'est ce qu'il allait faire.

– Les chefs d'accusation contre mon client sont nombreux et impressionnants, repris l'avocat d'un ton énergique. Corruption, blanchiment d'argent, financement d'activités illicites, appartenance à un groupe mafieux, appartenance à un groupe terroriste, cruauté envers les Pokémon.

    Nouveau silence théâtral.

– Permettez-moi, mesdames et messieurs les jurés, de vous dire que rien de ceci ne repose sur du concret. On reproche à mon client sa fortune ! Il a bénéficié d'un héritage suite au décès de ses parents. Peut-on le lui reprocher ? Non. Concernant ses activités professionnelles, si M. Corleone est Champion d'Arène, il est également propriétaire d'un casino à Céladopole et actionnaire de la Sylphe SARL de Kanto. Ses activités prennent du temps, expliquant pourquoi l'Arène de Jadielle est souvent close. Est-ce la faute de mon client ? Ou celle de la Ligue Pokémon de Kanto ? N'est-ce pas elle qui fait et défait les Champions ? Mettrons-nous en prison tous les propriétaires de casino ? On le soupçonne d'avoir acheté sa place au conseil d'administration de la Sylphe. Quand bien même, c'est grâce à la volonté de mon client d'améliorer les produits de la Sylphe –  la quête de la Poké Ball ultime, fantasme de tant de Dresseurs – qu'aujourd'hui nous pouvons acheter des Hyper Balls ou certaines « capsules techniques » comme la CT26 Séisme utilisée par les plus grands Dresseurs du monde !

    À ces mots, un brouhaha s'amplifia dans l'assemblée. L'avocat sourit intérieurement. Ce n'était que sa première carte. Le juge martela pour ramener le calme.

– Silence !

– On accuse le casino, repris l'avocat, connu depuis trois ans comme le « Casino Rocket », de blanchir l'argent de la Team Rocket. C'est vrai. Mais si M. Corleone en est bien le propriétaire, il ne le gère pas. Cette tâche appartient à M. James et Mme Jessie Brown depuis plus de quinze ans. Or, de nombreux sbires de la Team Rocket les accusent d'être leurs chefs ! Cela ne prouve rien, mais il est intéressant de noter qu'aucun d'entre eux ne dit connaître M. Corleone.

    Le public sembla acquiescer, sans être toutefois convaincu. Ce n'était pas grave. Ils avaient des certitudes, elles sont ébranlées, elles voleront en éclats. L'avocat attendit quelques secondes avant de reprendre.

– De même, concernant l'attaque de la Sylphe SARL et de Safrania, personne n'a vu M. Corleone. Aucun Safranien, aucun sbire, aucun employé de la Sylphe. Personne ! Seul le PDG de la Sylphe dit l'avoir vu. Mais il affirme également que M. Corleone, pourtant Champion d'Arène, aurait été vaincu par un gamin ! C'est ridicule !

    L'avocat sentit le regard de Giovanni se crisper. Il hésita. Avait-il dit une bêtise ? Il déglutit avec difficulté.

– La... La seule autre personne qui était avec le PDG dans son bureau était sa secrétaire. Elle corroborait les propos du PDG jusqu'à ce qu'elle se rétracte avant-hier devant cette assemblée.

    L'avocat de la partie civile se leva comme s'il était monté sur ressort.

– Objection ! dit-il à toute vitesse comme si sa vie en dépendait. Un important virement a eu lieu sur son compte en banque...

– Et vous pensez qu'un simple virement ferait taire quelqu'un qui a été séquestré ? le coupa l'avocat. Nombreux sont au courant des rivalités entre le PDG de la Sylphe et M. Corleone. Aucune caméra n'a filmé ni mon client ni des gamins dans la Sylphe !

–  Objection ! Les bandes-vidéo ont été sabotées par des sbires infiltrés dans la Sylphe ! De nombreux employés ont vu deux adolescents participer à la libération de la Sylphe et de Safrania !

– Adolescents que personne ne connaît ! Sortis de nulle part et qui n'ont pas refait surface depuis ! Ces mêmes employés disent avoir M. et Mme Brown, mais aucun ne dit avoir vu M. Corleone ! Ont-ils tous été soudoyés ?

    Une vague d'indignations secoua la foule, le juge dû marteler pour obtenir le silence. L'avocat en profita pour retourner le jeu à son avantage. Dès que le silence fut revenu, il changea de sujet.

– Parlons maintenant de ces insinuations ridicules de cruauté envers les Pokémon. Je vous rappelle que M. Corleone est Champion d'Arène et qu'à ce titre, il est tenu au règlement de la Ligue Pokémon. Une telle accusation doit avoir de sérieux fondements ? Même pas ! C'est sur les bases des propos de M. Fuji, une personne âgée tenant un orphelinat Pokémon à Lavanville, qu'on accuse M. Corleone d'avoir tenté de cloner le mythique Pokémon Mew, d'avoir mélangé son ADN avec un être humain, pour créer le Pokémon ultime, tout cela dans un laboratoire secret à Cramois'Île ! Laboratoire qui a été détruit dans l'éruption de l'année dernière ! Comme c'est pratique pour expliquer qu'il n'y ait aucune preuve. Il y a bien eu une explosion dans un Manoir qui se trouvait sur l'île, mais celle-ci était due à une fuite de gaz d'après les pompiers de l'époque. C'est là qu'habitait et est mort le Professeur Fuji. Enfin, sauf si l'on croit cette personne âgée qui ne peut prouver son identité qui, dans le plus heureux des cas, serait un homonyme !

– Giovanni est innocent ! cria quelqu'un dans le public, tandis que quelques autres applaudissaient.

    L'avocat de la défense sourit intérieurement. Certains étaient désormais convaincus de l'innocence de son client, d'autres, pourtant si sûrs quelques heures auparavant, doutaient. L'avocat alla se rasseoir à côté de son client. Pour la première fois depuis le début du procès, le visage de Giovanni Corleone trahit une émotion. Un sourire en coin était apparu. Narquois, satisfait et méprisant à la fois. Il savait qu'il avait gagné.

    L'avocat de la partie civile essuya la transpiration sur son front, se leva. Il était mal à l'aise, une goutte de sueur perlait de son visage. Giovanni redevint impassible.

– Monsieur le juge, ce plaidoyer particulièrement fort aura sans doute su toucher le jury et convaincre certaines personnes. À titre personnel, il aurait pu me convaincre...

    Ce fut à son tour de marquer un silence théâtral.

– Cependant ! Il se trouve que j'ai un dernier témoin à interroger. Et pas des moindres. Les agents Beladonis et Dahn l'ont longtemps cherché puis tenté de le convaincre de témoigner contre l'accusé. Ils ont finalement réussi. Il s'agit du fils même de l'accusé, Silver Corleone !

– Impossible ! fit la voix rauque de Giovanni.

    Un murmure d'étonnement parcourra l'assemblée. L'avocat se sentit défaillir. Il avait habilement joué toutes ses cartes, écrasé chaque accusation. Mais l'autre avait dissimulé un cinquième as dans sa manche. Il n'avait pas de joker, pas de porte de sortie, rien. La partie était finie, il avait perdu. Il le savait. Ils le savaient.

    Loin derrière eux, les portes du tribunal s'ouvrirent. Giovanni se leva brutalement, les poings tellement serrés que ses articulations blanchirent. Son visage d'habitude impassible était déformé par la colère, la rage, le désespoir. Il avait négligé un rouage dans sa mécanique si bien huilée. Celui qui semblait le moins important : le plus petit rouage. À vrai dire, il ne l'avait jamais vraiment compris ni même contrôlé. Il n'avait jamais été là pour son fils. Il n'avait jamais été un bon père. Ni même un père. Et aujourd'hui, il le payait.

    Un jeune garçon aux cheveux rouges entra.

    Le piège se referma sur la proie.

    Il s'avança jusqu'au box des témoins.

    La partie était finie.

    Il commença à dire tout ce qu'il savait.

    Ils l'avaient perdue.