[Blanc] En Noir et Rose

Lorsque Ludvina put dégager les bras qui l’enfermaient, elle se retrouva devant un bien triste spectacle. La salle du Maître avait perdu son voile doré, et ses figures de vitrail avaient perdu bras et visages. Le Roi avait perdu une partie de son visage, il ne lui restait qu’un œil de métal ; et, devant lui, un gigantesque escalier éventrait le mur sur une nuit sans lune. Elle leva la tête pour voir Tcheren détourner le visage, et faisant de même, vit Goyah se dégager des fins décombres.

« Goyah ! Vous allez bien ? »

« Ah ... Tu es arrivé jusqu’ici ... Félicitations. » La ruine de son esprit, elle, demanderait plus qu’un revers de bras.

« Que s’est-il passé ? Je suis arrivé quand ce Palais est apparu de nulle part ... »

« J’ai ... J’ai perdu. » L’admettre semblait lui coûter bien plus de force que ce qu’il n’avait à disposition, et c’était une pensée étrange à concevoir, que cet homme massif et indomptable puisse s’effondrer comme le même pan de mur sur lequel il s’appuyait, parce qu’il n’arrivait plus à chercher les bulles d’oxygène dans ses propres poumons. Tcheren devinait bien qu’il avait perdu - la perfection faisait partie des non-dits de la Team Plasma, quoi qu’on pense d’eux -, mais ne fit pas de remarque. « Je pensais être capable, » poursuivit-il néanmoins, « de montrer le lien qui m’unit à mes Pokémon, de lui montrer la vérité mais ... Et si ces convictions étaient justes ... »

« Le Palais ? » Ludvina réalisa à quel point sa propre voix lui semblait lointaine, comme à travers du verre ; enfin, l’aîné remarqua qu’il avait gardé son instinctive étreinte et recula en rougissant, pointant d’un doigt distrait l’escalier. Derrière, elle devina sans le voir les hauts donjons, les ponts par-dessus les dents de la Ligue, les mille yeux vitrés. Plus tard, quand elle aura la tête suspendue dans le vide par-dessus lui, elle se dira que sa vision n’était pas erronée, juste très loin du gigantisme de la Team Plasma.

« Je venais de vaincre Pieris quand une de ces ... choses » - dans ces dimensions, on ne parlait pas tout de suite d’escalier, avec des marches qui arrivaient à la ceinture - « est rentrée dans le mur. C’est pour le mieux, je ne sais pas si je serais arrivé à temps, sinon. » Elle devina que Tcheren avait dû arriver juste à temps pour la protéger de la chute du plafond : même si le choc aurait été minime, chaque seconde et chaque souffle d’air semblait les rapprocher de la Réalité imaginée par N - la sienne, à laquelle elle ne voudrait retourner pour rien au monde.

« Même si ... » Goyah semblait se parler à lui-même, désormais. « Chacun a son Idéal, mais seuls ceux qui suivent leurs rêves peuvent en faire une Réalité. C’est peut-être ce que Reshiram lui a vu ... »

« C’est un illuminé, » rétorqua Tcheren, et la banalité de son ton arracha un sourire à la cadette.

« Il a raison. Je veux dire, » s’empressa-t-elle d’ajouter devant l’air hagard du Maître déchu, « N n’est pas et n’a jamais été le héros de Reshiram. » Tcheren glissa ses épaules sous le bras massif de Goyah, lui cherchant à retrouver son équilibre parmi ses souvenirs fragmentés de ces dernières minutes.

« L’écroulement a quand même dû vous casser quelque chose ... Ludvina, je m’occupe de lui. » Un geignement lui échappa.

« ... La séparation des Pokémon et des humains n’apportera rien de bon à aucune de nos espèces. Je pense qu’il existe un monde ... Où notre Réalité et son Idéal pourraient exister ... Une utopie. Alors, je vous demande solennellement ceci, faites-lui comprendre cela. Faites-lui comprendre que la libération des Pokémon n’est qu’une utopie. »

La dresseuse regarda avec nervosité la suite de marches creuses qui se profilait devant elle. C’était ça. Ce qu’elle avait toujours cherché à éviter à son monde vidé de sa substance et ce qu’elle a promis à ce monde-ci pour ne pas le devenir ... Son destin, celui de Ludwig, de Tcheren, de Bianca ... Celui de N, aussi. Tout ça allait se conclure ce soir, au bout de cet escalier infini. Elle prit son premier pas et chercha une rambarde imaginaire.

« Je promets rien ! »


Quand Ludvina était à mi-chemin du Palais, prise d’un vertige soudain en voyant - ou plutôt, ne voyant pas - la profondeur du ravin par-dessus lequel elle était suspendue, et elle aussi fragile et exposée au vent qu’une feuille morte ; quand Ludvina était à mi-chemin, Tcheren ramenait Goyah à l’entrée de la Ligue par son propre escalier, faisant asseoir le Maître déchu dans le canapé de Pieris - un Pieris plutôt détaché, ne faisant que replier ses jambes pour lui laisser la place, et tout à l’analyse de son prochain pari. En l’examinant, il ne remarqua rien, sinon une longue arête osseuse à son épaule qui lui arracha un cri, réglé comme un robot-jouet, quand il appuya dessus.

« Bon, ça n’a pas l’air trop sérieux » fit le jeune dresseur en se relevant. « Je retourne au Palais. »

« Que comptez-vous y faire ? » La voix du spécialiste était empreinte d’une ingénue curiosité, mais elle ne manqua pas de tuer son enthousiasme. Ses épaules retombèrent et il s’effondra à son tour dans le canapé ; repoussant dans le même temps le Maître-meuble, penché sur l’accoudoir et son esprit, un mystère de médecin.

« Je ne sais pas ... Je vous ai combattu, tous les quatre, pour pouvoir l’aider le plus loin possible, mais maintenant ... »

« Vous avez déjà fait ce que vous pouviez, » l’interrompit-il. « Parfois, aider est une entrave. Votre amie le sait également. » Tcheren soupira avec résignation.

« Mais Ludvina est ... Attendez. » Il se pencha en arrière juste pour voir, devant la lucarne, le vol spectral de l’auteur. Anis ne se laissa pas tout à fait retomber sur le sol marbré, mais ne lévitait pas pour autant, et son corps semblait inaltéré par les événements - comme tous les membres du Conseil, remarquait-il, et il ne savait pas s’il devait y voir un abandon silencieux ou une confiance infaillible en leur challenger. N n’avait-il pas dit que Goyah n’avait jamais eu à combattre ? Sa voix résonnait pourtant comme un glas dans un si petit corps.

« Ils sont arrivés. Nous sommes au climax de notre histoire. »

« Ils sont entrés par ta tour ? Il faut qu’ils se hâtent. »

« Mon cher Pieris, ce ne serait pas un bon climax sans suspense ! »

« ... Vous parlez de Bianca ? » Tcheren essaya bien de les interroger, mais les deux spécialistes semblaient enfermés dans une bulle opaque - et autant qu’ils ignoraient ses ébauches de questions, leur discussion rebondissait sur son tympan abruti. Anis, armée de son inséparable carnet, s’était à nouveau plongée à immortaliser ses idées fugitives ; et il voyait bien, à l’expression désintéressé de Pieris, jouant du talon contre sa cuisse, qu’il n’y avait plus rien à tirer d’elle.

Le petit mais ô combien sage Pokémon regardait son dresseur et y vit les racines du doute s’enliser, alors qu’ils se préparaient à affronter leur plus grand adversaire à ce jour.

Ludvina sentait, dans son sac, le frémissement des Poké Ball. Elle hésitait, face à cette immense porte toute en arcs et son reflet désapprobateur dans le marbre poli, mais elle n’avait plus le droit de reculer. Ils comptaient sur elle. Il comptait sur elle, aussi, et n’était-il pas le plus important à présent ? Unys paraissait une idée secondaire face à la seule vision de Ludwig, perdu dans l’immense Palais, dans le labyrinthe de colonnes qui était un plus grand défi que le sévère entraînement de la Route Victoire. Elle resserra la bandoulière contre sa poitrine.

Le Pokémon poussa un petit cri rassurant, et le combat commença ...

Elle fit un premier pas sur le carrelage, et fut accueillie par un déploiement d’ombres.

« Avenir doré pour celui qui obéit au ciel ! Châtiment éternel pour les rebelles ! »

« La victoire du vice révèle combien la vérité est vitale ! Qui ne connaît qu'une chose ne connaît rien du tout ! »

« Commettre une erreur sciemment est le comble de l'hypocrisie, vraiment ! La raison du seigneur est la justice, celle du peuple, l'intérêt. »

« Dans les cieux ne brille qu'un soleil ! Sur Terre ne règne qu'un roi ! »

« Pour qu'un nouvel âge d'or illumine ce monde, nous avons étés élus et réunis ! Nous ne connaîtrons point la défaite ! »

« Nous, les Sept sages coupons ici ta route ! » Mais vous n’êtes que six ... La pensée échappa à Ludvina, mise en face du déploiement d’ombres des moniteurs de la Team Plasma - elle reconnaissait chez eux ce charisme naturel dans la voix et les larges toiles autour d’eux, formant un arc-en-ciel dans l’autrement terne couloir de marbre et de chemins d’eau. Ghetis n’était effectivement pas parmi eux, mais ce rassemblement d’influences lui suffisait, et elle eut un geste de recul lorsqu’ils avancèrent leurs Poké Balls ... Retenue juste à temps de retomber sur la gigantesque marche d’un bras sévère.

« Fais attention. »

« Watson ... ? » C’était lui, le maire de Janusia, dans ses larges bretelles pourpres, sa poigne de fer la remettant en équilibre comme si elle n’avait été qu’un simple pantin. Il y eut un autre déploiement, et Ludvina vit les Sages reculer face aux champions arrivés en nombre derrière eux. Elle les reconnaissait tous, fidèles aux descriptions de ses amis, sortis de leurs souvenirs sans la moindre imperfection. Aloé la mama, Artie l’artiste, Inezia la mannequin, Bardane le puissant mineur, Carolina la pilote, Zhu le masque-de-glace ; et, encore dans son dos, elle reconnaissait le sursaut de la plus jeune mais courageuse Iris, dont la hauteur des marches arrivaient à ses épaules. Il y eut une vague de chuchotements dans la Team Plasma.

« Comment avez-vous ... »

« Les suppliques de notre muse Bianca ! » C’était Artie, par-dessus son épaule. « Elle regrette de ne pas être ici pour aider, mais maintenant ... C’est à toi de reluire ! »

« Vous ... » Watson la repoussa encore en avant.

« Nous allons retenir les Sages. Toi, tu dois trouver N. »

« ... Si c’est votre souhait. »

Cette voix n’appartenait pas à Watson, dût-elle se dire, et une poussée d’ombre l’arracha au bras solide du maire de Janusia. Comme une pause dans le temps où elle ne vit, que dans un confus de couleurs, l’échange d’éclairs entre les champions et les Sages ; la forme massive du Tranchodon d’Iris les chercher de sa seule patte, et d’un coup, une simple porte. Ludvina retint à grand-peine un vomissement alors que ses sens reprenaient lentement leur rythme. A côté d’elle, l’un des membres du Trio des Ombres, droit comme un piquet, la dévisageait comme un Bargantua pourri sur une étale. Une chambre d’enfant ... ?

« Derrière cette porte se trouve le monde dévolu à notre Maître N ... » Sa voix restait d’un parfait monotone. Ce qui la mettait encore plus mal à l’aise, devant ce qui apparaissait être un trou de souris face à la démesure du Palais, et qui semblait avoir souffert au long des années plus que n’importe quelle imitation de temple primal ici.

« Nous ne sommes pas dotés de sensibilité, mais cette chambre ... Peut-être comprendras-tu ce que ressens notre Maître ... Plus haut se trouvent les Muses. Elles soigneront tes Pokémon. N’aie pas peur, » ajouta-t-il à son ton soupçonneux, « c’est le souhait de notre Maître que de te voir arriver à eux. »

« Eux ... ? » Mais le fantôme disparut comme s’il n’avait jamais existé. Bêtement, elle palpa l’air près d’elle de la même façon que si l’Ombre avait encore été là, et abandonna, reportant son attention sur la pièce qui semblait l’attendre. L’univers dévolu à notre Maître N ...

Si on exceptait le sentiment de malaise qui la prit en entrant, c’était une chambre d’enfant tout ce qu’il y avait d’ordinaire. Le sol couvert de nuages était sillonné par le long circuit du petit train qui - à son grand étonnement, géante au talon percutée par la locomotive - fonctionnait encore. Ludvina suivit son chemin, passant sous la gigantesque rampe coupant la pièce en deux et contre le cadre de lit - elle s’assit dessus avec un soupir épuisé sans prêter attention à son motif, déjà étouffée par ce ciel artificiel qui l’encerclait. La lumière tamisée n’arrangeait rien. Elle remarquait par endroits des traces de pattes et de griffes comme un rappel nécessaire de l’existence d’un autre monde, au-dehors ; sans quoi, elle aurait pu croire elle aussi qu’il s’agissait d’un tout autre univers, confiné dans ces quelques mètres carré.

La dresseuse pouvait imaginer sans grand mal une petite version réduite du Roi de la Team Plasma, dans une chemise de nuit ou un haut sans manches, tendre ses menottes vers les immenses Pokémon de son père ... Mais pour une certaine raison, ce fut l’image d’un N adulte qui s’imposa, avec la même chemise mal repassée et la casquette vissée sur sa tête ; sa main fermement refermée sur le Fondateur - sur Ludwig ... Ludvina secoua la tête. C’était exactement ce genre d’idées que l’Ombre voulait insinuer en elle. Elles n’avaient aucune importance. Aucune ...

« Mademoiselle ? »

Courbée sous le cadre de porte, la jeune femme était une vision un peu surnaturelle, un confus de rose et de blanc dans la semi-obscurité, et la lumière du Palais donnait un halo plus agressif à ses yeux qu’il n’était rassurant. Entre ses jambes, une Nanméouïe l’observait également, et elle ne put s’empêcher de remarquer le zigzag erratique de ses antennes tombant au sol.

« Je m’appelle Anthea, je suis la Muse de l’Amour. N m’a demandé d’être sûre que vos Pokémon soient reposés. » Instinctivement, la jeune dresseuse se replia sur le lit, son sac entre ses genoux.

« Ses Pokémon sont reposés, merci bien. » La Nanméouïe recula avec une moue vexée, mais la Muse de l’Amour ne sembla pas s’en offenser, sa figure s’élargissant sous l’effet d’un sourire ; et entrant dans la chambre, lui révéla la plus rassurante lumière des néons ... Avant d’être de nouveau masquée par la sœur, devina-t-elle, et un grand Pokémon à deux cornes dont elle ne connaissait pas le nom. Anthea reprit la parole.

« N espérait que ses Pokémon aient abandonné l’idée de retrouver leur dresseur. Mais, au plus profond de son cœur, il sait que les humains et les Pokémon sont liés par le combat ... Il a seulement passé trop de temps dans ce triste Palais pour l’admettre ... »

« ... Vous ne l’appelez pas Maître » constata seulement Ludvina, et inconsciemment, elle se détendit un peu. Cette fois, ce fut l’autre femme qui prit la parole, et son ton lui semblait déjà plus frustré, dans une colère sourde.

« Anthea et moi avons longtemps eu la charge de nous occuper de N. Nous devions lui apporter Paix et Amour, pour que son esprit intelligent d’humain ne soit pas anéanti par Ghetis. Nous étions les seules humaines à être en contact avec N, » poursuivit-elle tout naturellement. « Ghetis le laissa délibérément grandir auprès des Pokémon réunis par la Team Plasma ... Des Pokémon trahis, maltraités, et blessés dans leur corps et dans leur cœur. Touché par leur complainte, N commença à vouloir voir la Réalité, ne pensant qu’au bonheur de ses amis ... »

« Et en oubliant les humains » acheva Ludvina. La Muse de la Paix hocha tristement la tête. Anthea s’assit près d’elle, malgré son mouvement de recul, et sa main se referma sur la sienne - elle ne sentait pas vraiment cette espèce d’aura mystique qui aurait dû l’apaiser, mais elle voyait les deux Pokémon attentifs, inaltérés.

« Suis-nous. Nous allons te mener à N. »

« Le cœur de N est pur et innocent, » conclut la sœur. « Mais il n’y a rien d’aussi beau et d’aussi terrifiant que l’innocence. »


La première chose qu’elle vit, en entrant dans le cœur du Palais, c’était le Fondateur, et elle dut faire un effort pour se souvenir : N n’était pas son héros. C’était difficile, elle ne pouvait plus nier son existence comme elle l’avait fait ces derniers jours, car elle ne pouvait virtuellement voir que lui : le dragon fantôme dressé dans la pâle lumière nocturne du cœur éventré, la copie conforme d’une fresque de légende qu’elle avait si souvent vue, et même dans la nuit, cette puissante aura comprimant l’air autour d’eux ... Reshiram, l’incarnation même de la Réalité, et l’un des créateurs d’Unys, les gardait dans son ombre gigantesque. Ludvina avança d’un pas, et contre son appel, tous les Pokémon de son équipe apparurent derrière elle ; et enfin N se dessina dans les contre-lumières, lui révélant enfin ses mille et unes imperfections de simple humain.

« Il est temps d’en finir, une fois pour toutes ! Je prouverais la valeur de mes convictions, même si mes amis Pokémon doivent encore en souffrir ! » Il y eut un confus de grognements dans son dos ; les Pokémon étaient tous déployés derrière elle, impatients de montrer leur puissance, sous son impulsion, renouvelée. « Puisque tu es arrivée si loin, je te pense aussi déterminée ... Prouve-le-moi.

Appelle Zekrom, et montre-moi la force de ta conviction ! »

Un éclat de lumière dans son sac, et elle n’eut pas le temps de voir le confus fauve tout au fond, à contre-nuit, la chercher du regard, que le Galet Noir se dépliait déjà devant elle, en rempart de ce regard mordant. La complexité de ses formes contenues dans cette petite pierre, à laquelle un simple prospectus ne pouvait faire honneur ... Et elle fit de son mieux pour rester ancrée au sol quand la décharge électrique secoua la pièce. Sous les yeux ahuris de N, le dragon mécanique  Zekrom apparut.

« Le Galet Noir ... Je veux dire, Zekrom ... »

« Nigraj ... »

Là où le Reshiram était tout en grâce et courbes, Zekrom était un diamant brut et anguleux, mais n’en perdait pas de son mystique. L’espèce armure d’un noir ébène ne présentait pas la moindre face qui n’eut pas été calculée ; n’en sortait qu’une large corne translucide qui, chez n’importe quel autre Pokémon, lui aurait fait perdre l’équilibre sous son poids. Les courtes ailes sur l’axe de ses épaules brillaient sous le coup de l’énergie électrique, et son grondement seul ébranla les murs du Palais. Pourtant, Ludvina ne ressentait pas la même chose qu’en face de Reshiram ; Zekrom lui semblait plus « tangible » d’une certaine façon et ... était-ce sa voix lointaine qu’elle entendait ? Elle essaya de l’écarter de sa vision d’un vif coup dans l’air. Il était bien trop réel pour n’être qu’un rêve.

Ce n’était pas N que Reshiram avait reconnu comme étant le héros, elle en était sûre à présent, son doute ne laissait aucune place pour le sien. Derrière lui se trouvait le véritable héros, sa seule pensée en écho avec ce bras levé. Reshiram rassemblait ses forces dans une épaisse brume, prêt à montrer la puissance de ses flammes ; et la mâchoire mécanique de Zekrom, ne perdant pas un son de ce lien mental improvisé entre eux, préparait sa décharge. Ni l’un ni l’autre ne lui ferait croire que le dragon légendaire avec choisi ce Roi terni, corrompu et, étrangement, dur d’oreille. Il échappait encore au destin, à la manipulation de N ... De Tcheren et de Bianca également. Lové dans le trône du Roi, dans la prévisible toile de bleu et blanc de la Team Plasma, les yeux noisette observaient avec la patience propre aux amnésiques le début du combat ; c’était Ludwig, le garçon muet du métro de Combat.

Les deux dragons devaient se confronter éternellement jusqu’à détruire les fondements de l’ancienne région : c’était ce que Watson lui avait dit. Mais cette fois, contrairement à chacune de leurs renaissances, Reshiram, dont la déflagration se faisait plus intense entre ses mâchoires fermées, avait perdu son héros attitré. Nerveuse mais confiante, le visage de Ludvina s’orna d’un sourire crispé.

« Eh, Luddy ! Tu te souviens ? »

Le Garçon observait la Fille et les Pokémon. La Fille n’était ni Paix ni Amour, plutôt Chaos, et il la savait articuler le Fondateur avec la même voix mentale qui était la sienne avec son propre dragon légendaire ; au travers du Roi, il avait une répulsion naturelle vis-à-vis d’elle. Mais les Pokémon ... Une certaine curiosité perverse s’éveillait en lui à leur égard, à leurs formes exotiques si loin des fantômes de la chambre, bien qu’il savait cela mal : il avait appris à détester tout changement en lui comme il détestait tout ce qui n’était pas eux, le Roi, le Fondateur, et lui. Ca, et ils avaient une voix. Subtile, certes, un murmure de lettres mâchées, mais une voix malgré tout. Qu’étaient-ils par rapport à lui ? Etaient-ils une partie de ces « blancs » laissés dans sa mémoire ? Il ne voulait pas le savoir.

« Tu m’as promis un combat ! »

Feu et électricité couvrirent le monde d’un écran noir.

A l’aveugle, son bras essaya de chasser le nuage de fumée qui avait envahi la pièce ; elle n’entendit que l’immense masse du Zekrom prendre son envol. Il n’avait pas la légèreté fantomatique de son frère, mais il dégageait au contraire une certaine puissance dont Reshiram avait été dépourvu. Leurs têtes frôlaient le plafond, et Ludvina put enfin apercevoir, accroché à sa crinière, la main du Roi, l’autre contre une Poké Ball. Les Fondateurs n’étaient-ils donc que pure décoration ?

« Sorbouboul, Laser Glace ! »

« Truffles, Lance-Flamme ! » Le feu avala rapidement le souffle polaire du Pokémon Cône adverse, et elle devina à sa grimace qu’il avait été repoussé d’un seul coup dans la coquille peinte ; mieux encore, ceci avait ébranla la stabilité de Reshiram, dont le large corps peinait maintenant à se loger entre les colonnes. Un autre mouvement de bras, mais l’écran noir persistait autour d’elle, capturé dans une image statique.

Il connaissait le Pokémon. Il n’arrivait évidemment pas à s’en souvenir - et faire travailler sa mémoire était un effort dont il pouvait bien se dispenser -, mais il le savait. Le Pokémon faisait partie de lui, le Garçon, de la même façon qu’il se savait être un être humain à la chevelure sépia. Ca le déstabilisait. Il ne voulait pas d’un tel savoir. Il ne voulait pas retrouver l’oppression du monde noir.

« Nigraj, Eclair-Croix ! »

« Pas si vite ! Mégapagos, utilise Lame de Roc ! »

« Lysander, protège-le ! Lame-Feuille ! » Ludvina perdit l’équilibre sous les poids soulevés du sol : le Manternel bondit promptement à leur portée, semblait presque se repousser sur l’écran noir et les épaules de Zekrom, et les rejeta d’un coup de lame habile sur le Pokémon Tortantique, retombant lourdement - elle le sentit, cette fois, cette impulsion produite par quatre-vingt kilos de muscles et de roche d’amalgame. L’Eclair-Croix dans le vide produisit une lumière solaire pendant quelques secondes, dissipant un instant le voile, et voyant le Pokémon Précepteur revenir vers eux, incapable de se maintenir dans le cœur du combat. Elle voulait voir Ludwig, mais il avait déjà disparu dans l’opaque nuage.

« ... Cliticlic ! »

« On y retourne, Truffles ! Lance-Flamme ! » Sauf que cette fois, la forme du Cliticlic semblait se fixer dans l’air, un mauvais glitch de la réalité et, passant par-dessus le torrent ardent, le loup géant lui présenta le large museau ouvert.

« Zoroark, Vengeance ! »

« Casse-Brique ! » Les deux fronts se rencontrèrent dans un bang ; les Pokémon restèrent un instant comme ça, l’un en équilibre sur la tête de l’autre, avant que Truffles ne le chasse d’un de ses poings musclés. La patte se referma contre les deux mâchoires bien physiques et le projeta sur l’écran noir. Une ombre bleue eut juste le temps de s’écarter, d’instinct, que le confus rouge et noir du Pokémon Illusion tomba sur le trône. Reshiram, lié comme une poupée articulée, se logea davantage entre les colonnes.

Il ne voulait pas savoir, mais en même temps, il devait savoir ; ignorance et curiosité s’attisent l’une l’autre, avait dit Un Livre. Les Pokémon, il ne les connaissait pas de la même façon qu’il connaissait le Fondateur, qui était véritablement un prolongement de lui-même ; ou de la même façon qu’il connaissait le Roi, tout en-dehors de lui. Ils étaient une part de lui, mais avec leur vie, leurs propres rêves ... Et étrangement, il sentait que si eux n’avaient pas besoin de lui pour fonctionner, il avait besoin d’eux.

« Aéroptéryx, Acrobatie ! »

« Sorbouboul, fais écran ! » Le Pokémon Cône n’avait qu’à suivre le piqué de l’autre, dont la vue millénaire avait l’habitude de la poussière et de l’obscurité ; il se sentit soulevé et projeté contre le plafond, entre deux auras conflictuels. L’oiseau le tenait fermement entre ses pattes, et ses deux bouches sentaient d’un peu trop près le bec denté les chercher. « Et maintenant, Laser Glace ! » Avec plaisir ! Sorbouboul lui souffler dans les broches ; N et Ludvina, de leurs positions respectives, ne pouvait voir que les reflets de l’Aéroptéryx décongelé dans le feu des lumières artificielles, et choir dans son ambre de substitution. La main du Roi se crispa sur sa dernière Poké Ball.

« Cliticlic ! »

« On l’a déjà faite ! Truffles, Casse-Brique ! » Le Roitiflam se plia à cette demande, son poing rejeté sur la forme du Pokémon Engrenage ... Mais à sa grande surprise, les trois rouages se désolidarisèrent sous la seule impulsion, des pièces détachées rebondissant contre la masse graisseuse - et, Ludvina s’en rendait compte maintenant, chargée d’électricité statique. L’entrave le portait au-dessus du sol, dans l’axe de lévitation, et Truffles battait des pieds dans l’air.

Le Roi ne ferait pas ça.

Faire quoi ?

« Tonnerre ! » Une lumière intense recouvrit les deux Pokémon, sous les yeux médusés de Ludvina, son propre poing encore levé, et on n’entendit qu’un long geignement porcin entre deux chocs.

Ca ...

Le lourd Truffles retomba au sol, et les dernières émissions d’écran noir se dissipèrent autour de lui. Il respirait mollement, et la flamme de sa barbe montait par-dessus lui dans un bleu mourant. Elle n’en fit d’abord rien, plus choquée qu’autre chose, et elle observait Ludwig : devant le trône éventré, sa main s’ouvrait et se refermait contre sa cuisse à la recherche d’un médicament fantôme.

Ne fais pas ça ...