[Blanc] En Noir et Rose

« Ludwig ! »

L’interpellé se retourna pour voir son ami d’enfance venir vers lui en soufflant bruyamment, traînant sur le sol son sac à dos dégageant d’épais nuages de poussière. Derrière Tcheren, Figaro trottinait paresseusement, roulant malicieusement des épaules - arrachant un ronflement amusé à Bavia, qui dansait sur son axe. Il s’arrêta pile devant lui, le dos courbé, reprenant son souffle. Mais le jeune dresseur, patient, remarqua surtout l’éclat doré familier à son col.

« Je vois que tu as également obtenu le Badge Triple. Nous sommes donc au même niveau. Il nous faudrait un match pour nous départager. »

Ludwig se plia à cette requête, reculant de quelques pas prudents tandis que la Munna, qui trouvait ces ordres muets bien plus commodes, resta devant lui, roulant sur son tapis d’air avec lassitude. Le Chacripan s’avança également, enroulant la queue autour de ses pattes, avec un rictus de contentement. Sa voix faisait un écho désagréable dans la tête de son adversaire porcin, qu’elle occulta rapidement - ce devait être le lot commun de tous ces Pokémon Ténèbres, se dit-elle. Tcheren toussa doucement.

« Tu sais que Chacripan est un Pokémon de type Ténèbres. Les attaques de type Psy n’auront aucun effet sur lui ... » Pour toute réponse, Ludwig bailla bruyamment, bien vite imité par Bavia ; puis, par rebonds, au félin pourpre. « Peu importe. Je suppose que je dois encore prendre les devants. Figaro ! Griffe ! »

Le Chacripan se mit sur ses deux pattes arrière et lança son attaque, fendant l’air. La Munna ne bougea pas encore en attendant le rappel, projetant seulement son poids vers le sol pour ne pas être envoyée derrière son dresseur - et disparut dans un éclair rouge quand les deux pattes griffues la plaquèrent sur le chemin de terre. Truffles reçut l’attaque de plein fouet, pris à la gorge à la place de Bavia lors du changement de Pokémon. Tcheren ne comprenait pas la stratégie de Ludwig ... Mais il pouvait à présent profiter de l’avantage type de Russell.

« Figaro, dégage. » Le Chacripan regarda son dresseur d’un air incrédule, un seul regard furtif qui encouragea le Gruikui à se défaire lui-même de sa pression, roulant sur le côté dans une brève vague enflammée. Les deux Pokémon échangèrent un regard, se préparant à l’attaque. Ludwig serra le poing et fendit l’air avec la tension de son bras. Tcheren fut plus conventionnel. « Assistance ! »

Les deux pattes de Figaro se rejoignirent l’une dans l’empreinte de l’autre, et une fine membrane aqueuse commença à s’y former. Truffles n’attendit évidemment pas, espérant le prendre de vitesse avec sa Nitrocharge ; fonçant droit devant lui, progressivement enveloppé d’une chaude aura. Et d’un coup, le Bâillement fit effet. Il s’étira paresseusement, sans achever son attaque, la bulle encore suspendue. Et le Gruikui percuta la défense aquatique du Chacripan et l’envoya contre le sol, lui-même se dégageant encore en avant, l’eau le déséquilibrant. Le félin poussa un miaulement plaintif quand il tenta de se retourner, échoua, seule sa queue battant encore l’air.

Tcheren resta un instant interdit avant de rappeler son Pokémon. « Bien joué. Mais mon dernier Pokémon a toujours l’avantage sur le tien. » Enoncer l’évidence le perdrait. Ludwig nia véhément de la tête ; et Truffles, comme pour appuyer, reprit place sur son côté de terrain, dégageant de son groin la caractéristique fumée noire. « Comme tu voudras. Russell ! »

Le Moustillon apparut dans l’habituel éclair rouge, dégageant de son poitrail son indispensable coupillage imprégné d’eau. Ludwig avait perdu l’avantage du type. Ponctuellement.

« Finissons-en vite. Pistolet A O ! »

Russell prépara son crachat. Truffles recula un peu, tapant des deux pattes avant sur le sol nerveusement dans quelques étincelles blanches. Son dresseur, heureusement, avait remarqué le changement d’humeur de son Pokémon ; et l’enjoignit à attaquer, les deux paumes de ses mains frappant l’air. Tcheren, très studieux, ne pouvait pas ne pas reconnaître là une imitation très simple de l’attaque Cogne, une capacité exclusive à la famille de Gruikui. Mais seules les évolutions de ce dernier, pourvues de doigts, étaient censées savoir l’exécuter, pour créer des habitacles de pierre au pied des montagnes.

« Ne te fatigue pas, Ludwig. Gruikui n’apprend pas cette attaque. » Le concerné commença pourtant son assaut, les pattes avant légèrement désynchronisées de ses pattes arrière, essayant à chaque pas de rester dans sa position bipède. Russell rejeta l’eau accumulée dans un spectaculaire jet qui frappa le front plat du Gruikui dans un claquement sourd ... Jusqu’à ce que le premier bras musclé du Grotichon fasse barrage. Le Moustillon, sous le coup de la surprise, acheva son attaque ; et l’autre bras se tendit, la paume grande ouverte, pour le dégager en arrière. La loutre alla rouler entre les jambes de son dresseur. Ludwig applaudit joyeusement, sautait sur place, comme si l’on venait de lui offrir une des prisées glaces de Volucité.

Truffles observa sa nouvelle forme avec curiosité. Ses trois doigts qui remplaçaient ses pieds de cochon, ses muscles tendus, et cette magnifique parure dorée à sa ceinture - il tapa dessus pour s’assurer de sa solidité, et fut surpris de ne pas les voir craquer sous sa force nouvelle - qui ornait ses motifs usuels. Tcheren ramassa le corps épuisé de Russell, l’œil entrouvert, avec résignation.

« Je pensais que nous étions au même niveau ... Mais tu m’as dépassé. Bravo. »

Ludwig vint, habitude inchangée, porter son Pokémon dans ses bras ; et fut surpris par le poids plus imposant du Grotichon.


L’entrée de Ludwig dans la caverne, précédé du poing ardent de Truffles, fit sortir une nuée de Chovsourir agacés dans le crépuscule. Suivi par Tcheren, plus prudent, plus grand, se baissant pour passer dans l’étroite veine souterraine. Les deux garçons, à distance égale d’Ogoesse et de Maillard, avaient décidé de s’arrêter dans ce renfoncement au-dessus du sentier pour la nuit. Ou plutôt, l’aîné l’avait décidé ; son cadet d’un an, si on ne le lui rappelait pas, aurait été capable de s’enthousiasmer toute la nuit sur le haut de la Route 3 jusqu’à ce que ce soit son corps qui lui dise stop. Le Grotichon posa les bases d’un feu, qui tiendrait les Pokémon sauvages, plus lunatiques que ceux des hautes herbes, éloignés.

Ludwig se glissa dans le bas de la veine pour chercher un filet d’eau. La faible lumière du poing de Truffles le suivant, il regarda surtout le plafond, où les Chovsourir, le nez collé à la paroi rocheuse, les ailes pendantes comme des rideaux, amassés comme des moutons de poussière bleue, dormaient encore. Focalisé sur eux, il ne manqua pas de trébucher, ébranlant les minces murs de la grotte. Une nouvelle nuée de chauve-souris tomba et s’évada à l’avant de la grotte dans des pépiements bruyants. Une boule de poils lui atterrit dans les bras, encore tout engourdi par le sommeil.

Quelle ne fut pas la surprise de Tcheren lorsque le garçon revint fièrement, non pas avec une gourde à portée pour la nuit - parce que Ludwig risquait aussi d’oublier de boire, disait sa voix prudente et docile, et parce qu’on ne savait jamais comment le feu allait se comporter -, mais avec un Chovsourir pendu à son bras, suçant sa peau bruyamment pour ne pas retomber. Le Grotichon derrière, les joues gorgées d’eau, plein de bonne volonté. En tout cas, une chose n’avait pas changé entre le Ludwig du présent et le Ludwig de son souvenir : son amour réciproque pour les Pokémon. Cette vision le rendait quelque peu amer.

« Et tu vas aussi lui donner un nom ? Quel intérêt ? Tu ne le diras jamais, et tu oublieras. » Le cadet replia le bras près de lui, à sa hauteur, pour voir la boule de nuit s’agiter dans son demi-sommeil, mordant l’air avec ses petites incisives ; et sourit dans son absence. Tcheren soupira en fouillant dans son sac, à la recherche de quelque Poké Ball. « Tu n’as qu’à l’appeler Oskar. C’est un nom de vampire. Ca lui ira à merveille. Et je ne peux pas être pire que Bianca en matière de surnoms ... » Il dégagea une Sombre Ball. L’habituelle coque de verre blanche et rouge avait perdue ses couleurs pour une coquille uniformisée noire remplie de vert, plus épaisse, qu’on devinait en bois. Le Chovsourir ronfla.

« Tiens, attrape-le avec ça. L’homme d’Ogoesse qui me l’a offerte m’a assuré que c’était l’idéal pour les Pokémon nocturnes ... Et ne me regarde pas comme ça ! Je ne peux pas te laisser te débrouiller, c’est tout ! »


(Ah ! Le soleil ! Mes yeux ! Ca brûle ! Ah !)

(Calme-toi !)

Un cri qui se traduisait, pour les hommes plus sourds à la voix des Pokémon, sous la forme d’un Chovsourir piaillant, zigzagant d’un pan d’ombre humaine à un autre, se cachant des pellicules lumineuses, suivi par un Grotichon lunatique qui lui faisait office de tuteur. Oskar, né tout récemment dans la veine souterraine comme ses confrères, consœurs, s’était réveillé sous l’attaque lumineuse ; et ses yeux, habituellement cachés dans cette épaisse fourrure bleue, avaient été immédiatement agressés par le rideau coloré des arbres, de la rivière, des dresseurs prêts à casser du Pokémon. C’est ainsi qu’il s’était égaré à Maillard, appelant de sa voix muette qui voulait bien l’entendre.

(Ca brûle, ça pique ! Ah ! Je vais mourir !)

(S’il-te-plait !)

(Mes yeux vont fondre, je vais devenir aveugle et en mourir !)

Derrière, Ludwig essayait désespérément de suivre le rythme infernal d’Oskar. Bêchant à la fois par ses trous de mémoire, et par la présence de Tcheren - qui avait insisté pour lui montrer toutes les installations de Maillard, prédisant qu’il allait se perdre dans un confus pauvre de cinquante-et-un habitants ; ce qui n’était pas faux, vu les pas qu’il avait, du coup, perdu sur son Pokémon fuyard. Heureusement, Truffles l’avait précédé, et s’escrimait à ramener à la raison le Chovsourir - que ses yeux n’allait pas fondre, qu’il n’allait pas mourir d’une insolation dans les prochaines heures, et que l’entité-soleil n’avait pas un compte personnel à régler avec lui.

Oskar s’épuisa plus vite qu’il ne l’eût cru de ce petit jeu - paranoïaque et narcoleptique, bon tirage - ; suspendu en l’air un instant sans battre des ailes, son esprit engourdi décréta qu’il allait faire un plongeon dans les vagues de pavés. Truffles pressa le pas, son dresseur à la traîne dans les ombres des vieux hangars, pour seulement le voir le rattraper délicatement en vol, comme s’il était fait de verre. N, l’étrange garçon d’Arabelle qui entendait la voix des Pokémon, cherchant encore à confirmer ses visions contradictoires du Garçon. Il releva la tête, reconnaissant ce timbre particulier, ce rythme.

« Je ... veux voir ce que les autres humains ne peuvent pas voir. La Réalité des Pokémon. L’Idéal des dresseurs. Et un futur où, entre ces deux camps, les Pokémon seraient parfaitement à leur place ... Mais je ne peux le voir pour l’instant. Il doit encore être déterminé ... »

N soupira, conscient des failles de ses visions, et tendit les mains pour rendre le Chovsourir endormi à son dresseur - à son ami - à Ludwig. Et il le dépassa, laissant Oskar siffler doucement dans son sommeil de plomb. Il espérait encore entendre la voix de ce Pokémon, encore inaltérée. Le Garçon le suivit avec ce regard incrédule, plein d’incompréhension, ignorant le futur qu’il lui envisageait.

« Mes amis ne sont pas encore assez forts. Peut-être n’ai-je pas encore assez de puissance pour changer le futur en la meilleure de mes visions ... Mais je sais de quelle puissance j’ai besoin ... Reshiram ... »

Et N le lunatique disparut de la vue de Ludwig et de son Grotichon derrière le couvert du café de la Grange, continuant de parler pour lui-même. Le jeune dresseur regarda sa silhouette s’éloigner encore un instant, faisant le tri dans ses pensées confuses, avant que Truffles ne le rappelle à l’ordre d’un gentil coup groin à la hanche, pour le pousser dans le Musée.

« ... Reshiram, le légendaire Pokémon fondateur d’Unys ... C’est mon rôle de devenir ton héros ... »

Spoiler:

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Comprendre quelque chose du fil tendu de Gill était un exercice auquel Ludwig ne s’était même pas essayé. Il avait comparé plusieurs fois le prospectus, la photographie du squelette datant de l’inauguration de l’exposition, et le dragon sans tête actuel, pour bien assimiler ; tandis que l’assistant-directeur s’escrimait à expliquer l’incident, ponctuant ses phrases de pas de panique à lui-même sans véritable conviction. La Team Plasma serait entrée dans le musée en prétendant que le squelette du dragon était celui d’une créature légendaire qui les aiderait à libérer les Pokémon du joug des humains égoïstes ; aurait pris le crâne avant qu’il n’ait pu les arrêter, et aurait disparue dans un nuage de fumée. Artie, champion de Volucité, arrivé sur les lieux pour préparer sa propre exposition, trouvait la toile assez insolite : Gill, essayant de faire descendre un jeune chevalier en collants d’un fossile géant.

Artie et Ludwig avaient donc décidé - l’un poussant l’autre, naturellement, ce dernier n’ayant été motivé que par son titre à prendre - de se diriger vers la Forêt d’Empoigne pour retrouver les voleurs, tandis qu’Aloé protégeait l’arcade d’entrée de Maillard, leur interdisant toute sortie. Séparés à un embranchement, le champion avait d’abord passé plusieurs instants à contempler la nature et la figer d’un coup de crayon adroit, ce qui leur avait certainement fait perdre un temps précieux. Du coup, le jeune dresseur avait laissé ses Pokémon vagabonder à l’orée.

(Ah ! Des insectes ! Ne me piquez pas, ne me piquez pas ! Ah !)

Et Oskar, oubliant totalement les pellicules de soleil sous les arbres, était immédiatement reparti voler dans les méandres du bois, trouvant enfin son confort dans les branchages envahis par les Venipatte pendus. Les autres le suivirent un instant du regard, puis se lassèrent ; seul Truffles resta en arrière pour guetter le retour de son ombre, en aîné de l’équipe. Le Chovsourir accrocha son nez à l’écorce et laissa retomber ses ailes, prêt à profiter de sa journée de sommeil loin des mains indiscrètes du dresseur dont il n’avait jamais entendu le nom ...

« Eh, dresseur ! »

Ludwig se détourna pour voir le gamin le provoquer. Un véritable stéréotype, dans son débardeur orange et sa coiffe retournée ; et deux Poké Ball pendues à sa ceinture comme de misérables porte-clés.

« Tu as croisé mon regard ! Faisons un combat ! »

(Tu l’as appelé), constata Truffles d’une voix plate. Il y avait cette règle non dite qui voulait que quand deux dresseurs échangeaient un regard, ils devaient se combattre, peu importe les circonstances. Tous les gamins y allaient de leur astuce : attendre sur le chemin, se cacher derrière un arbre de papier, ou simplement appeler les voyageurs. Bavia roula sur son axe dans une parodie de ronronnement moqueur.

(Je m’en occupe) fit Tweak en l’ignorant, se glissant à la jambe de Ludwig. (Après tout, je ne peux pas me laisser dépasser par Rouki.) Rouki qui, resté derrière le Grotichon, était encore inconfortable dans les pattes plus élancées du Ponchien qu’il était devenu. L’assuré Ratentif, qui se considérait avec ses deux aînés comme le trio, n’avait, lui, pas encore atteint le moment de son évolution, et en ressentait un certain malaise ... Le gamin en face libéra un Venipatte paresseux qui se cacha immédiatement dans les hautes herbes en grondant doucement.

« Montre-lui ce dont tu es capable ! »

(Ca sera rapide. Allez. On a encore du sbire Plasma à casser.)

Ludwig ordonna immédiatement à Tweak d’exécuter son attaque Morsure - dans une pathétique imitation avec sa mâchoire bien plus étroite - ; le Ratentif resta un instant dressé au-dessus des herbes pour distinguer le Venipatte qui le fuyait paresseusement ... Le voilà ! Une forme mauve évidente sur le sol mouillé. La larve-insecte ne vit que les crocs enluminés fondre sur son épaisse carapace, l’enserrer dans un crac bien sonore. Un frisson se glissa sous la colonne vertébrale des deux dresseurs.

« Ve... Venipatte ! » Le Pokémon se tortillait vainement dans l’étreinte de ses dents. Rouki fourra son nez sous le bras de Truffles en tremblant. L’attaque du Ratentif, même s’il était le plus dynamique d’entre eux, était d’une violence inhabituelle - sourd aux appels de mains répétés de son dresseur ignorant et au mutisme soudain du gamin. La Munna descendit d’un cran dans son espace de lévitation, les yeux clos et le museau pendant déformé par une grimace.

(Son esprit s’obscurcit pour moi. Il se laisse dominer par sa frustration. Et, sans avoir besoin de voir, je sais que ça va mal finir.)

Le gamin se ressaisit enfin, voyant les gouttes de sang pourpre s’accrocher aux moustaches du rat. « Venipatte, Grincement ! » Le Pokémon, trop heureux, poussa un cri strident qui resta accroché aux tympans de Tweak - et fit écho dans les autres têtes. Déstabilisé, déséquilibré, le Ratentif lâcha enfin prise, passant à répétition la patte sur son oreille en espérant faire cesser le son cryptique qui persistait. Venipatte tomba lourdement dans l’herbe sans bouger, tremblant seulement en essayant de s’enrouler sur lui-même.

Son dresseur le rappela immédiatement, un fard aux joues et les lèvres pincées ; dans un mélange de crainte et de pure rage qui n’échappa pas même au plus oublieux Ludwig. Il rappela à nouveau Tweak d’un applaudissement, commandant du pied au Ponchien de prendre sa place, mais le Pokémon ne bougea pas, écrasant son postérieur sur le sol en secouant la tête.

(Tweak,) l’appela Truffles, assumant son rôle entendu de leader. Le Pokémon chassa cette voix d’une négation, qui aurait pu très bien être un autre spasme pour dégager le son impalpable du Grincement.

(Je m’en occupe. J’assure.)

(Mais ...) C’était Rouki, partagé entre la crainte du risque, et celle que lui inspirait le Ratentif à cet instant, avec une agressivité qu’il ne reconnaissait pas dans le confiant voire prétentieux Tweak dont il se souvenait. Ludwig resta un instant les mains serrées, semblant hésiter, puis laissa simplement les mains retomber sur ses côtés avec résignation. Le gamin en face envoya un énième Ponchiot - car il n’y avait plus que ça dans la région, apparemment : des chiens, des chats, des rats ! -, resté timide, les traits froncés sous le coup des émotions et des voix contradictoires.

« Ca ... Ca va pas ... » Des trémolos. « ... Ponchiot ! Morsure ! »

Le Pokémon obéit, avec cette impulsion ordinaire des Pokémon dressés. Ludwig écartait l’air du bras avec une insistance encore raisonnable, mais fous le camp Tweak ! ; le Ratentif partit sur le côté, et perdit l’équilibre, le Grincement faisant encore écho dans sa tête, à droite, à gauche. Les deux mâchoires lui comprimèrent la gorge dans un cri étranglé. Et il se débattait, la queue remuant dans l’espace comme l’insecte qui avait subi le même sort quelques instants plus tôt. Les lèvres du gamin se crispèrent pour cacher un sourire.

(Tweak !) Les voix ne firent qu’une, un instant. Son dresseur sortit du cadre pour lui faire apercevoir ses vains gestes, du coin de son œil roulant. Les deux mains encadrant ses lèvres pour poursuivre le mouvement de la mâchoire. Le Ratentif se tortilla pour mordre le cou du Ponchiot ; ce qui n’échappa pas au téméraire - et rancunier - gamin.

« Ponchiot ! Charge-le par terre ! »

Le Pokémon s’exécuta, tapant le côté de sa tête contre le sol pour dégager son adversaire. Un couinement échappa à Rouki, prenant un temps la voix que Tweak aurait dû avoir - Tweak l’assuré, enfin pris en défaut. Qu’il aurait dû avoir, car évidemment, la suite d’attaques l’avait mis dans un tel état de confusion qu’il renonça à relever la tête. Truffles et Bavia restèrent au chevet de Ludwig, qui s’acharnait pourtant dans son instruction muette.

(Ne panique pas, Ludwig ... Rappelle-le ...) Conseil inutile qu’il ne percevrait pas. Le combat aurait dû en rester là - une leçon pour le Ratentif qui surestimait la maigre force de l’adrénaline, alors que Rouki se serait avancé pour finir le combat. Ce qui n’était pas du goût du dresseur crispé, encore une main serrée sur la Poké Ball de son Venipatte.

« Morsure ! »

Cette fois, le Ponchiot resta incrédule, jetant un regard sidéré au gamin, partagé entre l’impulsion de cette voix de confiance et l’évident knock out de son adversaire, les yeux perdus dans le vide dans une grossière grimace de cartoon. Ludwig laissa retomber une de ses mains à cette seule réminiscence, le professeur Keteleeria au comptoir d’Arabelle, les mains glissées dans les poches de sa blouse avec une négligence qui ne s’y prêtait pas.

« Faites attention quand vous combattez, les enfants, » faisait-elle de cette voix désincarnée dans une mémoire qui ne convenait pas à cet exercice. « Les Pokémon sont des créatures exceptionnelles mais non pas moins fragiles. Ils peuvent mourir. »

« Ponchiot ! Allez ! » Rappela le dresseur, ramenant tout ce beau monde à la conscience. Le Pokémon subit l’impulsion, et enfonça ses crocs avec force sur les points qu’il avait déjà marqués. Tweak eut un soubresaut. Le Grotichon poussa du groin le coude d’un bras encore figé dans l’air avec insistance.

(Rappelle-le.) Conseil inutile.

« Quoi ! » répondait Bianca dans sa tête, toute aussi fantomatique.

« Ne panique pas. » Le professeur avait perdu le sourire dans sa voix. « Les règles de la Ligue Pokémon sont claires là-dessus. En des circonstances normales, lorsqu’un Pokémon est seulement K.O., le dresseur doit laisser le temps du rappel à son adversaire. Mais je vous préviens quand même. Les gens ont tendance à s’imaginer beaucoup de choses et à banaliser le combat ... »

(Rappelle-le !) Conseil caduque. Le Ponchiot relâcha enfin sa prise avec timidité, presqu’effrayé de ne pas avoir obéi comme il le fallait. Le visage de son gamin restait fermé, avec un mélange de satisfaction et d’incompréhension. Tweak ne bougeait plus. Ne parlait plus. Ne faisait plus écho dans les esprits de ses coéquipiers. Truffles laissa retomber la tête, Rouki écrasa le museau dans les herbes en couinant ; seule Bavia profitait de la compagnie d’un vent bruyant, se balançant encore sur son axe en fouillant les rêves fuyants sans plaisir.

Finalement, le gamin rappela son Pokémon sans un mot, l’éclair rouge l’attrapant sans qu’il ne manque à le fuir de l’œil ; et se retourna, faisant face à la fin de la route. Ludwig sortit enfin de sa torpeur et se précipita dans les herbes, dispersant les feuilles mortes de cette fin d’automne, trébuchant sur Tweak - pourquoi dormait-il là ?

« ... Désolé ... Mais pour mon Venipatte ... »

Et le dresseur dans son débardeur orange disparut vers Maillard d’un pas pressé, laissant l’orée de la forêt dans son silence usuel. Ludwig ramassa Tweak entre ses bras, toute petite poupée de poils désarticulée, les moustaches immobiles et la queue qui ne jouait plus dans les herbes. Truffles se glissa près de son dresseur, posant une patte réconfortante sur l’épaule à sa hauteur, avec un sourire auquel personne ne pouvait croire.

(Il va oublier.) Cette satanée Munna ! Rouki, cette fois, s’avança en rempart du Grotichon, le dos courbé en position d’attaque et le poil hérissé - sa voix bien réelle grondant d’une rage candide.

(Ludwig ne va pas oublier Tweak ! Pourquoi Bavia pense des choses aussi méchantes ? Bavia va oublier Tweak mais pas ... pas nous !) Bavia, fidèle à son habitude, roula simplement sur son tapis d’air en reniflant - pastiche de rire. De son œil bleu ouvert, elle observait le Grignot lui tourner le dos, les épaules basses, les bras encore enroulés autour du corps chétif et privé de rêves de Tweak le Ratentif. Qui ne tremblait pas, qui restait solide face au vent et à l’agression de pensées fugitives voulant sortir de sa tête.

Au revoir, Tweak.


Ludwig frotta ses doigts engourdis contre sa nuque, laissant de larges empreintes de terre contre son col. Il n’avait pas manqué de donner un écrin symbolique à Tweak, et avait dégagé le sol à ses pieds de ses deux mains ; d’abord avec une espèce d’urgence, puis une monotonie du geste, si ça n’avait pas été Truffles qui l’avait arrêté pour ne pas le laisser tomber dans son propre trou. Telle une croix improvisée, la branche de sapin plantée sur le monticule était restée quelques instants portée par le vent avant qu’ils lui tournent le dos. Rouki resta à peine plus longtemps à observer, ramassa du museau la terre qui s’écrasait sur elle-même, et suivit son dresseur d’un pas lent mais rassuré.

(Ludwig ne va pas oublier ...)

Il jeta un regard sur l’objet de ses affections posthumes. Ludwig baladait la tête sur le sentier de la Forêt d’Empoigne, prêtant un intérêt renouvelé pour la nature sauvage, les couleurs fauve des arbres, les puits de lumière sous lui, les formes furtives de la Team Plasma dans leurs moins discrets capuchons bleus ; avec une ébauche de sourire de ce sourire crédule, fondant. Dans la tête du Ponchien, Bavia continuait de renifler, amusée.

(Nous nous sommes mal compris. Il veut oublier. Et il en a les moyens.)

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