[Blanc] En Noir et Rose

Griselda avait perdu l’habitude des cris d’enfant et des jeux qui pouvaient faire trembler les quatre faces d’une maison. Imaginez alors la pauvre femme, en train de préparer quelque confiserie, être surprise par le bruit de meubles soulevés à l’étage au-dessus, manquant de peu de casser un pot. Puis la voix nasillarde de Bianca, un confus de mots ; la voix plus grave et posée de Tcheren, un autre ébranlement. Les enfants sont en train de faire leur premier combat de Pokémon, on dirait. La mère de Ludwig sortit la tête de la cuisine pour voir seulement une porte close à l’étage, martelée de coups. Elle se demandait qui était en train de gagner.

Puis le boucan s’arrêta d’un coup. Elle n’entendit que des chuchotements étouffés, et en s’approchant, les mains sous le tablier, le cri perçant - oh, quelle mélodieuse voix de petite fille - de Bianca.

« Il-il faut qu’on aille remercier le professeur Keteleeria ... ! Tout de suite, tout de suite ! »

« Attends. » Tcheren. Un garçon d’une rare patience. Supporter Ludwig et Bianca, chacun sur une épaule, Griselda se demandait parfois si c’était ça qui l’avait fait mûrir plus tôt, et pas l’inverse. Oh, elle savait que Bianca faisait des efforts - mais chassez le naturel, il revient au galop ; une petite fille moins capable, maladroite et exubérante. Elle n’aurait peut-être jamais su où se mettre si ça n’avait pas été pour les deux amis d’enfance de son fils. Déjà, quand ils avaient appelé à l’hôpital de Volucité, comme des grandes personnes ...
« On ne peut pas laisser la chambre de Ludwig dans cet état. » Attendez. La chambre ? La Bianca-voix ignora superbement Tcheren et les interrogations mentales de la jeune femme. Coup contre la poignée. Comme un réflexe qui s’est fait au fil des années, Griselda resta en retrait derrière la table du salon, pour ne pas se mettre dans le chemin de la tornade blonde.

« A-allez ... ! On y va ... ! »

Et à raison. La porte de la chambre s’ouvrit dans un claquement sourd, libérant des papiers égarés. Bianca descendait l’escalier quatre à quatre, ses talonnettes faisant des bruits suspects de bois cassé. D’un côté, sa sacoche encore légère pendue à son coude ; de l’autre, sa main resserrée sur le poignet de Ludwig, traînant un garçon docile, qui trébuchait sur les marches. Derrière, deux Pokémon sautaient en travers de la rampe ; elle reconnut un Vipélierre et un Gruikui, qui semblaient presque jouer à saute-moutons entre les jambes de leur dresseur respectif. La blondine disparut dans un éclair couleur carotte, dispersant sur le pas de la porte les Poichigeon abasourdis. Griselda les regarda passer avec un sourire déconfit. Son bébé, parti comme ça, sans un regard, simplement sous le bras d’une demoiselle - en d’autres circonstances, ça aurait pu l’amuser.

Encore après, Tcheren suivait plus posément, le pas à peine plus rapide, les deux doigts pincés sur l’arête du nez, signe de son affliction. Sur son épaule, le Moustillon s’accrochait maladroitement aux cheveux-lianes de son dresseur, incapable de trouver son équilibre. L’aîné des trois s’arrêta à peine pour bredouiller une excuse pour l’état - encore incertain - de la chambre, désolés, nous serions bien restés tout arranger, mais le Professeur ... Et de s’envoler aussi. Griselda faillit l’arrêter, puis se retint, murmura pour elle-même un « A bientôt » ... Et vit sur le pas de la porte les chaussures de son fils.


Et c’est ainsi que Ludwig se retrouva pieds nus sur la Route 1, encadré par un Tcheren à peine ennuyé et une Bianca hystérique. Bianca, qui avait tenu, pour une raison obscure, une raison de fille, à ce qu’ils marchent ensemble sur la frontière imaginaire entre le chemin et Renouet. Le Gruikui s’était blotti dans la veste de son dresseur, reniflant le col qui sentait bon la baie Tronci. Le garçon à lunettes regarda un instant la Poké Ball figée dans la main de son cadet - une partie de la coque de verre peinte en rouge.

« Ludwig, tu vas donner un surnom, à ton Pokémon ? » Le brun observa son aîné, comme pour avoir la confirmation que c’était bien lui qui parlait, et adressa un regard attendri sur le Gruikui. Son Gruikui. Le Pokémon, deux doigts timides appuyés sur la truffe, éternua doucement. Bianca, avec sa discrétion légendaire, s’interposa entre les deux garçons, baladant son Vipélierre à bout de bras. Le Pokémon faisait un effort pour les regarder en même temps, la langue comiquement pendue sous son énorme museau.

« Euh, moi, je l’ai appelé Morène ! » Tcheren s’abstint de lui lancer un « Bien » plein d’ironie, et fit comme si le Vipélierre n’était pas là comme une grossière parodie de mur en béton. Mais son regard sévère ne mentait pas, et Bianca se remit timidement à sa place, le Pokémon serré contre son cœur.

Ludwig ne comprenait pas toujours ses amis. Parfois, ils apparaissent comme à n’importe quelle vision, des formes colorées et agitées - ou statiques, dans le cas du Garçon, si ce n’était pas pour les lunettes qui ne cessaient de glisser sur son nez - ; mais parfois, n’arrivant pas à saisir leurs réactions, ils les voyaient comme des amas, des grappes monochromatiques qu’il n’arrivait pas à traduire. Son Gruikui le sortit de ses pensées, appuyant son large groin sous son menton.

« Tu pourrais l’appeler Truffles. » « Truffles ! C’est trop-trop-trop mignon ! » Gruikui semblait être d’accord, remuant sa truffe avec un petit grognement satisfait. Vendu, alors.


Sur la place d’Arabelle, le professeur Keteleeria n’aperçut que furtivement les premières ombres bleues de la Team Plasma, installant leur scène, avant de s’introduire dans le cabanon du centre Pokémon, insouciante. Des banderoles de papier marquées du blason en P se baladaient au hasard, poursuivies par les sbires maladroits qui les avaient laissé s’échapper dans le vent. Dans une ruelle étroite entre deux immeubles, le Chacripan se délectait des restes de Bargantua cru dans les poubelles, encore indifférent aux préoccupations de ces bruyants humains.

N ne voyait pas en lui un heurt, comme il en voyait chez les Pokémon de son père ; il ne serait donc pas aussi difficile de le comprendre. Il tendit la main près de la tête du chat, gardant cette distance avec la moindre moustache qui pourrait dépasser de ce corps superbe. Avec curiosité, le Chacripan s’approcha de l’ombre, avant d’effleurer les doigts du dresseur - ami ? C’était encore flou. Les visions de N sur le Garçon ne firent que se confirmer. Avec une tendresse infinie, il approcha davantage sa main de la magnifique courbe du poitrail offert. Le Chacripan miaula avec plaisir au contact de la caresse. Ce serait dommage si le Garçon ... devait s’avérer être un dresseur.

Car, après tout, en équilibre entre le noir et le blanc, il devrait se débarrasser de lui.


« A ce rythme-là, nous ne réussirons pas à remplir le Pokédex. »

« Oh, Tcheren ! Ne sois pas aussi rabi-rabi ... »

« Rabat-joie. »

« Voilà ! »

Ludwig ignora royalement le confus de mots qui émanait de ses deux amis - comme toujours, lorsqu’ils se disputaient, l’une élevant la voix, l’autre avec la réplique cinglante. Il était trop occupé, les mains par terre, à commander son premier combat de Pokémon en petite dimension. Sous l’impulsion des applaudissements de son dresseur, Truffles donna une Charge, un coup de groin qui étourdit à peine le Ponchiot sauvage.

« Je ... euh ... J’ai une idée ! Comme on doit compléter le ... le Pokédex, là ... Et qu’on ne peut pas laisser Ludwig derrière nous ... »

Coup de groin, son de trompette. Le Gruikui cracha un peu de fumée, alors que le Ponchiot sauvage errait d’un carré d’herbe à l’autre avec une démarche d’ivrogne. Ludwig montra un enthousiasme exagéré à la perspective de cette capture - on aurait pu allumer un feu d’artifice dans son regard plein d’étoiles -, alors qu’aux yeux supérieurs de Tcheren et Bianca, c’était le combat épique d’un chiot et d’un cochon de lait.

« Si ... Si on complétait le Pokédex ensemble ? Je veux dire ... euh ... On a qu’à s’imposer des règles ... ! Non ... ? »

Tcheren jeta un regard distrait à son amie. Celle-ci ne s’avoua pas vaincue pour autant. Dans les herbes, Ludwig fit émerger une Poké Ball vide de son sac, et un chaos indescriptible d’objets - à se demander si, selon sa mère, il n’allait pas plutôt entamer un voyage sur la Lune.

« Si, par exemple ... Comme Ludwig, il est un peu ... euh ... »

« Lent. »

« C’est ça ! On pourrait faire que chacun ... eh bah ... qu’on puisse capturer qu’un Pokémon par route ! Le premier qu’on trouve ! Et en plus ... on pourrait aller plus vite, comme toi tu veux ... Bah, tu veux pas faire ce truc du Pokédex ! »

L’aîné sembla considérer la question. C’est vrai que la complétion du Pokédex, bien que c’est ce qui lui avait servi de prétexte pour l’obtention de son sésame - Moustillon, sobrement renommé Russell -, ne l’intéressait guère. Il voulait gagner le défi des Arènes pour prouver sa force, plus que s’atteler à un travail de rat de bibliothèque, image qui lui collait à la peau. Il réfléchissait encore quand Ludwig arriva en trottinant pour montrer sa Poké Ball à une Bianca attendrie.

« Oh, il est tro-o-op, trop mignon ! »

Le garçon parut démesurément ravi de la capture du Pokémon, un Ponchiot trouillard qu’elle décida arbitrairement de baptiser Rouki. Même pas un chromatique. Tcheren l’observa rapidement, qui regardait le plafond de verre de sa Poké Ball avec l’air ahuri que tous les chiens ont, avant de rejeter son attention sur Bianca, puis sur Ludwig, reprenant le cours normal de la discussion.

« C’est d’accord. Un Pokémon par route, le premier qu’on rencontre. Si on le rate, tant pis. Mais alors, par pitié ! » Ton exaspéré. « Les Pokémon ne sont pas des jouets ! »

« Tu exagères tou-jours, Tcheren ! »


« Eh ! Ludwig ! Viens voir ! »

A peine sorti du centre Pokémon - où le professeur Keteleeria s’était sentie obligée de donner des recommandations de dernière minute sur les « vraies morts » des Pokémon, provoquant à peine un déclic dans sa tête, et la plus bruyante incrédulité de Bianca -, Ludwig entendit Tcheren le héler depuis la place centrale. Et s’il peinait parfois - souvent - à ranger les informations, il remarqua bien qu’il y avait bien plus de monde amassé là que lorsqu’il était arrivé, Truffles à présent perché sur son sac comme un mouton sur une poutre ; masse noire et confuse de gens et de Pokémon sans prétention.

La scène, qui avant n’était qu’un peu prétentieux tas de taules et de banderoles, était sublimée ; une large estrade encadrée par les banderoles de la Team Plasma. Les ombres bleues étaient sagement alignées à l’arrière, tournant leur dos au public curieux, chuchotant entre eux. Puis l’un d'entre eux osa enfin prendre la parole, interrompant les spéculations de la population d’Arabelle.

« Votre ... Votre attention s’il-vous-plait ! Le Sage Ghetis s’apprête à faire son élocution ! »

Les petits groupes dans la foule firent une ou deux remarques indiscrètes, puis se turent, à l’apparition de l’homme sobrement nommé « Sage » Ghetis. Presqu’un vieillard, en fait, à la stature maladroite sous les pans de sa robe, un cache-œil lui barrant la joue gauche. Mais la force de sa voix tint les habitants d’Arabelle au mutisme.
N, entre deux hommes, à quelques pas à peine du Garçon, écoutait l’élocution de son père avec peu d’intérêt ; le Chacripan pendu sur son épaule comme une écharpe, jouant avec des pans de cheveux verts hérétiques. Il pensait que, pour les humains, une espèce trop primale à son goût, une telle contradiction - lois de la nature contre lois mécaniques - ne pouvait pas s’expliquer. Mais il devait admettre que Ghetis faisait un bon discours, pour un vieil homme.

« Mon nom est Ghetis. L’un des Sept Sages de la Team Plasma. Laissez-moi vous expliquer quels sont nos pensées. Depuis toujours, nous, hommes, vivons naturellement en compagnie des Pokémon ; nous les considérons comme des partenaires, mais ... N’avez-vous jamais remis en question cette idée ? »

Quelques chuchotements circonspects.

« Les Pokémon sont des créatures exceptionnelles, qui ont encore beaucoup à nous apprendre. Un potentiel sans limites. Et ne doivent pas être asservies par l’homme. Pour que les Pokémon ne soient plus des outils, mais enfin nos égaux, nous ne devons pas les soustraire à leur vie sauvage, mais au contraire ... Les libérer ! »

Nouvelle vague de murmures. La plupart sonnaient comme incrédules, d’autres étaient plus moqueurs. Ludwig jeta un œil à Truffles, sur sa besace, qui lui rendit un regard confus. Ghetis, satisfait de son effet, haussa le ton.

« Et les dresseurs ! Les dresseurs ne font que donner des ordres à leurs Pokémon, sans se préoccuper de ce qu’ils comprennent ! Ne le niez pas, les Pokémon ne sont plus que des objets pour des desseins égoïstes ! Cela ne vous a-t-il jamais frappé ? »

Brouhaha. Tcheren ne pouvait pas prétendre ne pas comprendre les interrogations légitimes des enfants, des vieillards ; de Ludwig, qui avait reculé d’un pas, les mains serrées sur sa bandoulière. Truffles donna un petit coup de groin à son dresseur. Pourquoi était-il aussi nerveux, tout d’un coup ? Dévolu au sort de ce petit homme à la mémoire fragile ; est-ce que l’autre grand homme aurait dit quelque chose qui ne lui plaisait pas, qui aurait cassé une brique dans sa tête ? Du côté de N, le futur proche du Garçon se précisait, favorablement.

« C’est ainsi », finit Ghetis sans se préoccuper de ces échanges mentaux, « que se termine mon discours. Que la paix soit avec vous. »

Et sur ces mots, le Sage se retira dans ses rangs, et les sbires commencèrent à démonter la scène. Envol de banderoles. Certains regardaient encore comme si Ghetis était encore là, à faire son élocution grotesque sur la « libération des Pokémon » ; d’autres discutaient entre eux - Tcheren glissa un rassurant « Tout le monde peut penser différemment » à sa droite - ; et les derniers s’éloignaient déjà pour reprendre leurs activités, comme si rien ne s’était passé, certains talonnés par leurs Pokémon désorientés. N resta un instant à écouter la conversation d’un couple hésitant. Il faudrait peut-être mieux relâcher Chlorobule, disait l’homme ; mais il nous aime autant qu’on l’aime, non, demandait la femme.

Ludwig ne savait pas quoi en penser. D’un côté, une voix « blanche » nouvelle lui chuchotait que son Gruikui serait peut-être plus heureux dans la nature, sans être mis en danger par des combats qui avaient été annoncés comme autre chose qu’un simple jeu - et il aurait pu le croire. D’un autre, une voix « noire » qui portait l’empreinte sonore du professeur Keteleeria lui disait que c’était un voyage formateur, qui devait les aider à grandir et à forger une amitié, lui et les Pokémon qu’il rencontrerait. Truffles descendit de son poste et s’assit aux pieds de son dresseur avec un air interrogateur. Tcheren soupira, bien loin de ça, et donna une tape amicale sur l’épaule de son ami.

« ... N’entends-tu pas que ton Pokémon te parle ? »

Quatre têtes se retournèrent. Près d’eux, les bras croisés sur sa poitrine, un Chacripan lové à ses pieds, un étrange dresseur aux cheveux verts qui les provoquaient. Tcheren le ficha immédiatement, et il le rappellera à Ludvina plus tard, comme un illuminé ; pas de Poké Ball pour contenir son Pokémon, parti à la fin du combat en le portant seulement contre sa poitrine, parlant trop vite et trop fort, et puis qui irait dire qu’un Pokémon pouvait parler ?
N prit le temps de détailler le Garçon du présent. Ses bruns épis rebelles sur sa tête, son uniforme marin débraillé sur ses épaules, et les yeux morts d’un fantôme. Une de ses expériences, étant petit, dévoré par l’ennui et la rancune, avait été d’envoyer le Neitram d’un des alliés de son père, « confondre le blanc et le noir » dans la mémoire d’un petit sbire de la Team Plasma ; il avait eu, un instant, le même regard, froid et sans focus.

« ... Excuse-moi ? »

« Oh, tu ne l’entends pas. Quelle pitié. »

N s’adressait exclusivement à Ludwig, ignorant royalement le dresseur hautain qui lui parlait. Il ne faisait pas partie de sa vision, et n’avait donc aucune présence ; pour Tcheren, c’était l’abaisser à être le type qui respire le même air que Sa Majesté. Les Pokémon, restés hors de la conversation, commencèrent à échanger des regards, en guise de préliminaire. Truffles se sentit agressé par les yeux provocateurs du Chacripan. N dût le sentir également, bien que ses sens restaient concentrés sur un Ludwig mal à l’aise.

« Oui, Gruikui, je comprends que tu veuilles te battre. »

« Et on peut savoir qui tu es ? »

Tcheren, qui essayait de s’imposer de nouveau dans les pensées de N. Fort bien, pensa le dresseur. Après tout, il n’était qu’un élément éphémère dans le futur qu’il envisageait. Son obsession pour la force ne tarderait pas à lui faire subir les révolutions de ses Pokémon. Il l’avait vu chez son ami Chacripan.

« Je m’appelle N. »

« Moi c’est Tcheren, et voici Ludwig. »

Ludwig était donc le nom du Garçon ; le garçon qui, coincé entre deux bords - l’étranger avec son Pokémon, et son ami d’enfance, qui se faisaient une guerre de mots -, aurait bien voulu devenir invisible. Ce qui n’empêcha absolument pas Tcheren, ignorant, de surenchérir.

« Il nous a été confié par le professeur Keteleeria en personne la tache de compléter le Pokédex. Même si mon but est de devenir le Maître de la Ligue. »

Il entendit à peine le ton plus mordant de N - N, qui peinait à contrôler son sentiment sur cette odieuse invention que le Pokédex, ignorant encore le but d’exploiter des Pokémon pour la force ! Toujours la force, la domination ! -. En revanche, les trois Pokémon - le Chacripan et le Gruikui, au moins, car le Moustillon de Tcheren resta plus timide - sentirent cette tension nouvelle dans l’air, et avancèrent un peu plus l’un vers l’autre pour la confrontation. Ludwig avait dû le sentir aussi, car son visage se teinta d’une forme d’incompréhension.

« Cela ne vous dérange donc pas, d’emprisonner des Pokémon à ce dessein ? Je suis dresseur également, bien entendu mais ... » Le Chacripan, se sentant concerné, souleva les babines dans un feulement approbateur. « Je dois me demander, est-ce que les Pokémon sont heureux ainsi ? »

Enfin, il s’adressa personnellement à Truffles. Il ne regarda plus le Garçon - Ludwig, n’est-ce pas ? Un nom de mauvaise fortune -, ou ne fit semblant de parler au dresseur qui lui servait de chaperon, mais baissa les yeux sur lui, semblait même lui chuchoter.

« Alors, Gruikui ? Es-tu heureux ainsi ? »

Celui-ci releva fièrement le postérieur et sembla préparer une attaque, un épais brouillard sortant de son groin. Le Chacripan prépara sa défense, rentrant les épaules, attendant les instructions de son dresseur de fortune. Les deux petits Pokémon se jaugeaient du regard, connaissant leurs forces. N le savait aussi : il ne voulait qu’entendre sa voix pour confirmer ses visions. Pensait-il qu’il allait abandonner le Garçon. Tcheren, quant à lui, resta incrédule.

« Alors ! »

Ludwig siffla. Un petit sifflement léger, un souffle léger entre ses deux doigts, mais ça suffit. Truffles expira ses flammes dans l’air. Le Chacripan ne bougea pas, comme il en avait été implicitement convenu, rentra la tête entre ses pattes en défense, pour prendre le moins de dégâts possibles. Il laissa néanmoins échapper un miaulement plaintif alors qu’il sentait la brûlure lui mordre les épaules.

Le Gruikui souffla bruyamment.

(Je n’abandonnerai pas mon dresseur.)

N resta interdit. Y’avait-il des Pokémon qui avaient des sentiments aussi purs, aussi aimants pour les humains ? Il n’y avait qu’une façon de le savoir. Le Chacripan se déplia dans un feulement, se préparant à attaquer à son tour, griffes écrasées sur le dallage d’Arabelle. Quelque part en arrière-plan, Tcheren observait le combat miniature avec une amère frustration.

« Attaque Griffe. »

Le Chacripan se jeta dans l’air, toutes griffes dehors. Truffles n’eut pas le temps de reculer pour éviter l’adversaire, qui atterrit face la première contre son groin, les pattes enlacées sur sa petite graisse porcine. Ludwig n’attendit pas pour lui faire exécuter une Charge ; le Gruikui reconnut l’applaudissement de son dresseur et fonça tête la première sur le parvis. Contre le parvis. Le dos du Pokémon mauve rencontra les dalles dans un claquement sourd. N ne put cacher sa surprise, cette fois.

(Je n’abandonnerais pas mon dresseur !)

Truffles recula, laissant un Chacripan écrasé et sonné, hors d’état de combattre. Il le provoqua une derrière fois, crachant son brouillard par la truffe - et ne remets plus les pattes dans mon quartier, semblait-il dire. Ludwig vint accueillir son Pokémon, accroupi, les bras grands ouverts, un sourire présent le sublimant. Lui n’entendait que des grognements satisfaits, mais s’il n’avait pas voulu combattre pour lui ... ; et c’est la preuve qui lui suffisait. Tcheren remit son grain de sel dans l’affaire quand N vint soulever le Chacripan avec attention.

« Ca ne va pas, de provoquer des combats comme ça ! »

N l’ignora, leur tournait déjà le dos. Sa vision ne s’était pas confirmée. Ludwig persistait dans sa voie de dresseur - il n’aurait pas dû en attendre moins, pour commencer -, et cela compliquait ses plans. En équilibre entre le monde « noir » et le monde « blanc » ... Capable d’atteindre le cœur du Fondateur d’Unys ... Non. Il ne devait pas penser à ça maintenant.

« Tu as bien combattu, Chacripan. »

« Eh ! Tu écoutes ? »

« Confinés dans ces Poké Balls, les Pokémon ne pourront jamais atteindre la perfection qui leur sied. C’est pour ça que je dois changer le futur. Comme tu l’as fait, Ludwig » rajouta-t-il pour lui-même. Tcheren se vit fusillé du regard, et il n’insista pas. Et N disparut au coin de la rue, entre une banderole captive et les ombres des bâtiments. L’aîné poussa un soupir.

« Quel drôle de bonhomme. Mais bon, il peut penser ce qu’il veut après tout. Les Pokémon et les humains s’entraident depuis la nuit des temps, et il n’y a pas de raison que ça change. Pas vrai ? » Truffles lança un regard à son dresseur, comme pour demander son approbation.


Le Chacripan dévorait les baies, revigoré. Il semblait déjà avoir tout oublié de ce combat contre le Gruikui, même si l’ombre de l’humain le dominait encore, immuable. N, quant à lui, restait plongé dans ses pensées, essayant d’entrevoir les autres futurs - mais le Pokémon ne révéla rien de plus que ce qu’il avait déjà montré. La tour Dragospire, dominée par le Fondateur d’Unys, Reshiram. Ainsi se concentra-t-il davantage sur le futur des deux autres dresseurs qui bornaient toujours ses visions. Cette Bianca était loin d’être une menace, au contraire, elle pourrait servir aux desseins moins personnels de la Team Plasma. Quant à ce Tcheren dur et amer qui l’avait pris en grippe ...

« Mon ami, j’ai encore besoin de ton aide. »

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